Réfugiés de la réalité (1/2)
Salut !
Je vous présente aujourd’hui un conte écrit pour le club Unesco dont je fais parti. J’ai pris beaucoup de plaisir à l’écrire et j’espère que vous en prendrez encore plus à le lire !
Bye et bonne lecture.
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Réfugiés de la réalité (1/2)
«Un jour, du ciel, l’armée des anges descendra guidée par son prince et elle viendra nous ouvrir les portes du paradis, mais seuls les rêveurs croient encore à cette légende.
- Grand père ; c’est quoi un rêveur ?
- C’est quelqu’un qui espère, en vain, de tout son cœur.»
Il était une fois un enfant du nom de Grand Rêveur. Sa famille l’avait nommé ainsi car ses rêves étaient très différents de ceux des enfants de son âge. Il ne rêvait pas du dernier jouet sorti dans les magasins, ni d’une montagne de glace au chocolat, ni même d’un parc d’attraction ; ses rêves étaient trop grands pour que ses parents puissent les exhausser.
Assis à califourchon sur un baril vide de pétrole, se balançant lentement d’avant en arrière, l’enfant rêvait.
Il rêvait qu’au loin les feux s’éteignaient et que les fusils se taisaient, il rêvait que les immenses décharges bordant son bidonville étaient de gigantesques et luxuriantes forêts, il rêvait qu’un soir, en se couchant sur sa paillasse il n’entendrait plus les lamentations de son estomac. Mais surtout, surplombant tous les autres, trônait Le Rêve, celui là précisément que les enfants formulent lorsque les adultes leur demandent quel est leur souhait le plus cher.
Grand Rêveur rêvait qu’un jour, lui et sa famille, pourraient enfin traverser la Ligne.
Souvent le soir lorsque Grand Rêveur refusait d’aller dormir, son grand-père s’asseyait auprès de lui et, en regardant le ciel, ils rêvaient.
«Grand-père, pourquoi notre pays est-il en guerre ; je ne suis pourtant fâché contre personne ? » questionna une nuit l’enfant tandis que l’horizon venait de s’allumer comme une bougie, très vite soufflée, avant que ne leur parvienne les applaudissements des bombes.
«Ce n’est pas notre guerre mon enfant mais celle des pays riches. Une bataille vois-tu, cela fait des dégâts, ça détruit des villes, des vies pour la plupart innocentes et ça plonge le pays dans le feu et le sang. C’est beaucoup moins risqué pour ces égoïstes nations de mener chez nous leur combat. Regarde toutes ces poubelles ! C’est pareil. C’est plus facile de les stocker dans des pays faibles, obligés de se taire. »
Grand Rêveur se souvenait de son village natal si paisible, de ce jour où pour la première fois il connut la peur, de leur fuite effrénée et de cette phrase qu’avait prononcée il y a très longtemps son grand-père :
«Restons ici, plus loin c’est la Ligne. »
C’est pourquoi, les yeux rivés vers l’horizon, l’enfant demanda :
«Montre moi la Ligne. »
A chaque âge appartient une expérience. Petit on apprend à lire et à écrire, plus tard à devenir indépendant…Chacun de ces apprentissages nous transforme à un moment précis de notre vie mais il y en a un qui ne se situe dans aucune tranche d’âge mais qui, plus que tous les autres, modifie notre perception du monde.
Cette expérience, soit nous la découvrons par nous même, soit elle nous est imposée.
Il n’y a pas d’âge pour affronter la réalité.
Grand Rêveur marchait à longues enjambées afin de suivre l’allure rapide de son grand-père. Tous deux se taisaient.
Soudain devant eux apparut une immense muraille s’étendant à perte de vue, un mur recouvert de fer barbelé au pieds duquel était tracé en blanc une ligne : La Ligne.
«De l’autre côté c’est le bonheur, la profusion, la richesse. Ils se sont entourés pour se protéger de la honte de l’égoïste possession. Des vigiles sont postés de partout sur la Ligne ; nul ne l’a jamais franchi vivant, dans un sens ou dans l’autre.» déclara l’ancêtre.
Grand Rêveur approcha ses pieds jusqu’aux limites de la Ligne.
«N’y a-t-il vraiment rien qui n’entre ou ne sorte de ce riche pays ? »
Pendant un long moment son grand-père réfléchit avant d’expliquer :
«Même les oiseaux ne traversent plus la Ligne, on ne sait pourquoi.»
Alors tout deux regagnèrent leur bidonville.
Toute la nuit les images de la Ligne et de la muraille hantèrent le sommeil de l’enfant. Il revoyait la fine marque blanche semblant presque tracée à la craie et le mur de terreur s’élevant à plus de six mètres de haut.
«Pourquoi ont-ils peur de moi, demandait Grand Rêveur, est-ce un crime que de rêver à un monde meilleur ? »
Le lendemain Grand Rêveur retourna voir la Ligne. Elle le fascinait et l’effrayait à la fois car il ne comprenait pas comment quelque chose d’aussi ténu pouvait être à lui seul la cause de tous les maux d’un peuple.
Après l’avoir contemplé un long moment l’enfant s’accroupit soudain auprès d’elle et, pris dans un élan d’espoir et de rage, il déchira un pan de sa tunique et se mit à frotter la Ligne de toute la force de ses fébriles mains.
Cependant, plus il grattait le sol plus le nombre de plaie sur sa peau augmentait et plus il sentait en lui la haine grandir.
«Non ! Je ne dois pas haïr ! C’est par la haine que le malheur et la douleur se fraient un chemin dans nos cœurs. C’est par la haine que les guerres commencent. » Grand Rêveur secoua la tête le visage crispé :
«Je ne veux pas devenir un monstre comme eux…»
Tout à coup il sentit une vague d’air lui rafraichir le visage et une voix stridente s’exclama :
«Ne t’inquiètes pas petit enfant, jamais tu ne pourras leur ressembler car même si tu en venais à les haïr de tout ton cœur, ce n’est pas un morceau noirci de tissu ou tes mains tremblantes qui feront de toi un meurtrier. Seul l’argent te le permettrait. »
Grand Rêveur abandonna sa tache et se retourna. A ses côtés se tenait un magnifique oiseau au plumage blanc.
«Qui es-tu ?» questionna l’enfant.
L’animal se redressa de toute sa hauteur, bomba le torse et déclama :
«Je m’appelle Libertin et je suis le roi des oiseaux.»
Soudain Grand Rêveur se remémora sa discussion de le veille :
«Si tu es un oiseau, qui plus est leur roi, pourquoi ne traverses-tu pas le Ligne ?
- Il y a des années, lors de la construction de la muraille, nous fûmes chassés de ce pays pour des raisons toutes aussi futiles les unes que les autres.»
L’animal tourna la tête en direction de la Ligne, songeur.
«Avez-vous depuis tenté de retourner dans l’enclave ? Demanda Grand Rêveur.
- Jamais, murmura l’oiseau, nous serions fusillés.»
Le visage dur l’enfant s’exclama :
«Vous êtes peureux et lâches.»
Mais le roi se tut.
Une ombre passa alors au dessus de cet étrange couple et l’oiseau déclara avec un sourire :
«Seul le Nuage est autorisé à franchir la Ligne. Chaque année il surgit au dessus de nos têtes avant de disparaître derrière la muraille.»
Le pâle tissu blanc traversa le ciel puis sauta de l’autre côté de la Ligne.
«Dans un an, à la même heure, nous le retrouverons.»
L’oiseau s’envola alors laissant l’enfant seul. L’animal ne savait pas qu’il venait de donner à Grand Rêveur une nouvelle raison d’espérer.
posted on février 10th, 2010 at 14 h 02 min