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En noir et blanc (1/2)

8th mai 2014

En noir et blanc (1/2)

Salut !

Je sais, je n’ai plus posté depuis trèèès longtemps. Désolé. En février ça n’allait pas trop.

Voici cependant un texte (enfin !) ou plutôt un conte, écrit cet été en Août. Vu qu’il fait 8 pages d’ordi je le mettrais en deux parties ^^

J’espère que ce conte vous plaira et si vous avez des questions, n’hésitez pas !

Bye et bonne lecture.

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En noir et blanc (1/2)

« Tu m’emmènes voir la mer ? »

C’était un enfant. Un de ces enfants-papillons à qui on écrit des lettres avec une plume et pour qui on invente des histoires de Lune suspendues aux toits des maisons.

« Non, plus tard. » répondis-je le regard dans le vague. Il fit une moue désapprobatrice.

« Pourquoi ? »

Comme une impression de dialogue entre deux êtres qui croient déjà tout savoir l’un de l’autre.

« Elle est loin la mer »

Il était assis, rêveur, au bord du trottoir, sur une chaîne de métal reliant deux poteaux et il se balançait d’avant en arrière.

« Ça veut dire quoi « loin » ? » demanda-t-il en appuyant plus que de coutume sur ce dernier mot.

Comme échappant au fil de mes pensées mon regard se posa sur ces feuilles suspendues aux branches des arbres, trop loin pour que je puisse les saisir puis sur ce ciel si haut qu’il me semblait que je ne pourrais jamais le rejoindre. Je songeais alors à ces êtres que l’on aime en secret, loin des mains et de leur caresse ; à ceux si proches et si loin en esprit, différence sans dimension ; à cette feuille blanche que mes doigts pouvaient toucher mais qui restait pourtant insaisissable.

« Rien, ça ne veut rien dire » C’était faux mais c’était plus simple. Au fond si je savais ce que « loin » signifiait, ne le ressentait-il pas lui aussi ?

Je me rappelle de ce silence premier puis de ces pensées qui se mirent à tambouriner dans ma tête, poursuivies par d’étranges tableaux ; de cette chaîne qui grinçait et de mon envie de crier à ce gosse d’arrêter de se balancer avant de réaliser que mes pieds aussi étaient suspendus au dessus du sol.

« Ça ressemble à quoi la mer ? »

Souvenirs.

« A un ciel un peu trop fatigué qui s’est endormi sur la terre

-Pourtant personne ne se baigne dans le ciel. » répliqua-t-il.

Je souris et lui désignais les étoiles du bout du doigt.

La nuit était tombée, lentement, comme si elle venait de très loin.

« Change de rôle » Étrange voix dans ma tête.

On avait pris le chemin du retour et je lui avais dit que les oiseaux, pour eux rien n’était loin. Depuis il veut que je lui couse des plumes dans le dos mais je n’ai pas osé lui dire que je n’aimais pas les aiguilles.

« Change de rôle » Incompréhension.

Je lui ai promis de lui montrer la mer un jour dès qu’il serait grand. Pourquoi attendre ? Ça n’avait aucun sens. Peut-être parce qu’à cette époque je ne pouvais pas lui offrir ce qu’il souhaitait.

« Change de rôle » Une peur.

Il m’avait demandé quand est-ce qu’il serait grand. Je n’avais pas su répondre : je crois qu’on a le même âge.

« Change de rôle » Comme une porte vers l’inconscient.

Je saisis ma plume et commençais à coudre des lettres sur la feuille blanche. Alors, peut-être qu’il pourrait s’envoler.

****

Il avançait, seul au milieu du paysage. Ses bras faisaient un angle de 90° avec son corps comme s’il eut voulu toucher les plumes des oiseaux qui le frôlaient, étrange funambule.

Il marchait au dessus de la cime des arbres en direction du Soleil couchant qui se découpait à l’horizon. Le ciel était rouge et les lignes sous ses pieds de rouille.

Parfois il s’asseyait en tailleur pour regarder en bas l’épaisse forêt parsemée de crevasses, corps dénudé de la Terre. Des bouts de ferraille pendaient aux branches des arbres tandis que dans les puits de poussière des chaînes de métal sortaient du sol.

En ce soir d’automne même les feuilles étaient de rouille et seule la blancheur des oiseaux contrastait avec le tableau. Peut-être était-ce des colombes ou bien encore encore des goélands. Il espérait que ce fut ces derniers car alors cela aurait voulu dire que l’océan n’était plus très loin.

L’après-midi touchait à sa fin. J’attendais ma correspondance sur le quai d’une petite banlieue parisienne, de ces gares au nom composés, trop long, comme inversement proportionnel à sa fréquentation.

Quelques sièges étaient pris, d’autres libres. J’avais décidé de rester debout. Un observateur extérieur aurait cru que j’étais pressée et guettait fébrilement mon train des yeux en espérant saisir la meilleure place. En fait peu m’importait qu’arriva ou non ma correspondance, je voulais juste sentir la brise du soir dans mes cheveux et sur ma peau humide, sentir monter l’adrénaline à l’approche d’un train ne s’arrêtant pas en gare et qui semblait près à m’engouffrer. Appel d’air et de liberté.

Je voulais observer le chemin de fer qui s’étirait à l’infini, cette courbe légère qu’il prenait soudain avant de disparaître, les canettes abandonnées quelques mètres plus bas et dont on ne distinguait déjà plus les inscriptions…des canettes qui n’étaient plus que rouille.

Quelques fois je m’accroupissais au bord du quai, simplement pour avoir l’impression d’en être un peu plus proche. Envie de s’y noyer.

Mais surtout il y avait cet appel, comme une voix qui me murmurait à l’oreille de descendre sur les rails et de marcher sans autre but que de suivre la route jusqu’à son berceau et d’embrasser la liberté. Qu’il est palpitant d’aimer l’interdit.

Pourtant mes pieds toujours restaient figés, comme enchaînés.

Toute son enfance aurait pu se résumer en un mot ou plutôt en un lieu : le Tunnel, ce long couloir bien souvent désert sur les murs duquel étaient suspendus par des chaînes de vastes tableaux qu’éclairaient de faibles lampions et qui étaient répartis par rapport à un épais trait rouge séparant le tunnel en deux. En travers de cette ligne étaient gravés deux lettres : J-C pour Jour de la Catastrophe.

Il connaissait le Tunnel par cœur, les aspérités de la roche à éviter et les renfoncements naturels au creux desquels il pouvait se blottir les jours où les courants d’air se faisaient trop forts ; le nombre de pas séparant chaque tableau ainsi que leur dimension ; les endroits où l’eau ruisselait de la roche et qu’il tentait de combler ; le nom de chaque teinte et jusqu’à l’odeur particulière de chaque tableau.

D’aussi loin qu’il s’en souvienne il avait toujours passé le plus clair ses journées dans ce Tunnel, seul avec ses pinceaux et sa palette de couleur. Lorsqu’une goutte venait mordre un coin de tableau il s’empressait de recréer la teinte exacte et de le soigner. C’était son expression : « je soigne les tableaux ».

Toutefois le Tunnel était plus qu’un lieu : une part de lui même.

Comme tous les descendants des survivants de la Catastrophe il habitait le Souterrain mais était un des rares à s’aventurer dans le Tunnel. A ce dernier se raccrochait un nom et une identité : le Maître des Couleurs comme on l’appelait, ainsi que les regards curieux des habitants du Souterrain accompagnés de chuchotements à son approche. Sur la pierre était peinte la différence et la passion tandis qu’avec l’eau perlait la solitude et l’incompréhension de la plupart des habitants.

« Il est bizarre ce gosse » entendait-il parfois.

« Pourquoi il ne joue pas avec les autres ? » s’étonnaient les mères de famille.

Néanmoins certains lui témoignaient également de l’affection et ce qui ressemblait parfois à de l’admiration.

« Comment vont les tableaux, Petit Maître ? »

Une main qui ébouriffe ses cheveux.

« Pas trop froid là dedans ? »

A chaque fois qu’il commençait à grelotter il mettait un des pulls qu’on lui avait tricoté puis ramenait ses genoux sous son menton. Ça lui donnait l’impression que quelqu’un le prenait dans ses bras.

Les historiens l’appréciaient beaucoup et en dehors du Tunnel il passait la plupart de son temps libre chez eux, dans une des branches les mieux chauffées du Souterrain.

C’était comme un marché : l’enfant leur décrivait chaque tableau que le froid les dissuadait d’aller observer par eux même et en contre partie les savants lui parlaient de leur découverte et du temps d’avant la Catastrophe.

« Un nouveau est arrivé, peux-tu lui décrire les trois principales toiles ? » lui demandait-on parfois.

Il s’asseyait alors à un petit bureau en face du novice et commençait son récit, d’abord de façon très solennelle puis de plus en plus passionnée :

« Le premier tableau date d’avant J-C, il fait 3m50 de long sur 2m20 de haut et le cadre massif qui l’entoure est incrusté de pierres précieuses rehaussant le caractère terne de la toile et soulignant l’abondance de cette époque. Le premier est un rubis aux faces arrondies par… »

Un geste rapide de la main. L’enfant esquisse un sourire puis ferme les yeux tandis que quelques personnes s’approchent de la table.

« Je revois les immenses tours qui sortaient du sol puis se ramifiaient en bourgeons de métal. Le paysage était blanc et gris, monde bicolore environné de la lumière blafarde du Soleil au zénith. Chaque tour était reliée à ses voisines par une longue chaîne de métal de sorte que cet édifice entourait une vaste coupole centrale à la clarté inhabituelle.

-Le Puits… » murmura un historien, qui s’était joint au groupe. Toutefois l’enfant n’entendait plus rien.

« Et parmi ces chaînes, comme défiant la gravité, il y avait ces lignes que recoupaient d’autres lignes, ce quadrillage dont l’ombre se projetait sur le sol et les tours. Ce chemin de fer venait puis repartait, quittait une tour pour en rejoindre une autre avec sur le dos son chargement métallique, se noyait dans la coupole pour en émerger de nouveau avant de s’éloigner des tours et de… »

Il s’arrêta net, comme si on lui avait ôté tout air des poumons.

« Le premier tableau s’arrête là. » déclara un historien à la longue barbe posté derrière l’enfant, en direction de ce qui ressemblait désormais à une assemblée.

« Nous allons passer à la deuxième toile. »

Silence.

Alors l’enfant raconta le tableau comme s’il s’y trouvait. Il peignit la terreur face à la coupole en flammes et les gerbes de feu qui s’en élevaient puis il jeta en l’air quelques mots, crépitement de l’électricité quittant le puits avant de s’avancer vers les tours en s’accrochant aux chaînes et aux rails. Lorsque sa voix, tremblotante, se fit de plus en plus faible, ce fut pour griffonner dans les esprits en flash de lumière l’image d’oiseaux s’envolant d’un à pic, immenses trains chutant dans le vide.

Le regard dans le vague, comme épuisé, l’enfant s’était tût tandis que l’avait remplacé la voix monocorde d’un des historiens :

« Le troisième tableau date d’après J-C, il présente la particularité de… »

Le Maître des Couleurs n’écoutait plus. Il n’avait pas besoin d’écouter : il savait. Il lui suffisait de fermer les yeux pour voir apparaître dans le creux de ses paupières le paysage de rouille. Il pouvait rester des heures ainsi, à figer l’automne et la course du temps en regardant le Soleil assis sur l’horizon. Pourtant, même alors, un pan de son esprit restait noir. Non pas le noir mouvant de la nuit ni même celui feutré des ombres du Souterrain : un noir effrayant que rien ne pouvait décrire.

Sauf l’absence de couleurs.

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