Souffle Mots

Les lumières de l’automne (1/2)

27th septembre 2015

Les lumières de l’automne (1/2)

Salut !

Voici la première partie d’un texte écrit je ne sais plus quand ! Début d’année dernière mais plus précisément je ne peux vous dire.

Bye et bonne lecture !

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Les lumières de l’automne (1/2)

Au soleil couchant le cessez-le feu avait été déclaré. Les rues, plus rouges que l’horizon, avaient été désertées, chacun allant chercher un peu de sommeil derrière son mur gris, sa maison de barbelé. Les façades de pierre s’effritaient dans le vent comme si elles euent été de sable, comme un tombeau enfoui volerait en éclats sous les rayons du soleil. Chaque jour dans les rues de nouvelles artères voyaient le jour, implosion d’une ville au goût de poussière, et les couleurs semblaient s’être envolées du monde sur le dos des oiseaux ayant fuit peu de temps auparavant. Seul subsistait le blanc des visages et des pupilles immobiles, le noir des nuits sans étoiles et le rouge de l’horizon mis à mort par la Lune. Le gris au fond n’était que le doute des paupières mi-closes tentant d’observer le paysage tout en refusant la pâleur des corps.

La nuit, après que tout le monde se fut assoupi, le vent au travers des avenues donnait à la ville une respiration aux allures de râle qu’entrecoupait parfois le crissement d’une mine sur le papier. Assis en tailleur au milieu d’une ruelle, de dos on eut dit un grand manteau gris suspendu dans les airs tandis qu’à ses pieds gisait le sol meurtri, dénudé par le vent. De face toutefois il semblait moins effrayant, enfant tenant entre ses mains un petits calepin aux bas de page cornés par le temps et la violence. Ce soir là il s’appliquait à dessiner un coquelicot et voulait le faire si beau qu’il aurait pu séduire toutes les abeilles. Lorsque son crayon dérapait il humidifiait son index du bout des lèvres avant d’effacer la bavure. Son ouvrage achevé il décrocha la feuille, la déposa sur le sol puis fit demi-tour. Peu après, lorsque la poussière eut repris ses droits, elle découvrir aux côtés du croquis un coquelicot fané, emporté par les déflagrations des combats. J’aurais bien voulu embrasser ses pétales encore rouges.

Au fond inventer une histoire c’est un peu comme essayer de se rappeler d’un lointain souvenir, un de ces souvenirs d’enfance aux proportions déformées et où les jardins de jeux ont la taille des forêts. Le cadre est flou et les protagonistes sans visage. Petits êtres dans la tumulte ils lèvent les yeux vers le ciel sans comprendre. Pourquoi pleurent-ils ? A l’arrière d’une voiture, à moitié assoupies, de frêles oreilles se tendent pour saisir des mots, des idées et rajouter ainsi quelques touches de couleurs à leurs mondes. Dans l’étourdissement du sommeil tout n’est alors plus que flashs de lumière et de son : ils dessinent des portes sans maison et des arbres qui se fanent, bercent des rêves au creux de leurs bras avant de relier les étoiles pour leur jouer un de ces airs que les parents fredonnent aux enfants. Se souviennent-ils seulement pourquoi le coquelicot ne respire plus ?

Voici l’histoire d’une ville, une ville sans époque ni pays, ruine crachant de la poussière comme d’autres du sang. C’est l’agonie d’une cité ayant atteint son apogée, la démence d’un monde dont le squelette vacille, trop lourd de ses péchés. Son peuple a depuis longtemps disparu, prenant les armes pour la détruire. Ils n’entendent même plus sa complainte, mélange de détresse et de colère, effrayante résignation d’un être qui sait que jamais il ne pourra lever la main sur ses enfants. Pourtant, plus le temps passe plus il devient évident que la population ne survivra pas à la chute de sa cité : leurs corps se font plus maigres à mesure que les ruelles disparaissent et leurs peaux semblent devenir aussi blanche que la Lune. Certaines femmes en viennent même à se coudre sur les lèvres des pétales de coquelicot pour leur redonner le rouge d’antan. Un seul habitant refuse la mort de la cité et tente de la protéger : un petit enfant au long manteau gris. Il parait qu’il est tombé amoureux d’elle il y a longtemps.

Lorsque je regarde la ville désormais je peine à me souvenir de son visage d’antan, reconnaissant tant bien que mal ses traits sous les cicatrices. Toutefois si les images sont floues les sentiments, eux, sont restés intacts et je ne peux m’empêcher de poser sur elle un regard empli de respect et d’admiration. C’est face à la douleur que l’on reconnait les plus grands Hommes. Je me souviens de ses immenses boulevards où fourmillait la vie, du ballet de la foule et de la lumière interprétant ses plus beaux reflet sur les parois des tours, miroir d’un coucher de soleil. Je revois les étoiles de la ville s’allumer une à une sur les frontons des boutiques tandis que descendait le lourd rideau de la nuit, poursuivit chaque fois par les longs manteaux gris, ombres chinoises errant dans les rues assoupies. Si seulement j’avais su dessiner, peut-être aurais-je pu ranimer la ville pour lui rendre la splendeur de nos souvenirs.

Il était né il y a bientôt dix ans loin de la ville et nul ne pouvait dire si c’était dans le village voisin, la forêt en bordure ou une lointaine contrée car tous ignoraient le visage du monde hors de l’enceinte de la cité. Assis sur le rebord d’un muret jouxtant un ancien cimetière, ses jambes se balançaient dans le vide tandis que son regard errait dans les rues rougies par le soleil. Depuis combien de temps dessinait-il la ville ? Il ne s’en rappelait plus. Ni de cela ni du nombre de feuilles griffonnées qu’il avait déposé sur le sol, les murs ou les bâtiments. Il n’avait, je crois, même pas compté. Lançant sa jambe au dessus du muret il fit pivoter son buste pour faire face au cimetière. Compte-t-on lors d’une guerre le nombre de personnes auxquelles on ôte la vie ? Ne préfère-t-on pas l’oublier ? Les tombes alignées tombaient en ruine alors même que cette partie de la ville n’avait pas encore été saccagée. Peut-on seulement l’oublier ? Se chevauchant les unes, les autres on eut dit que les tombes se soutenaient tandis que sur une plaque de marbre gisait le corps fatigué d’une rose rouge. Ses pétales ridées se reposaient sur une feuille de papier à leurs côtés, un peu jaunie, comme si elle voulait annoncer la venue prochaine de l’automne. Dépose-t-on des roses en hommage aux êtres qui nous étaient chers ou pour offrir à ces fleurs une digne sépulture ?

Une révolution n’arrive jamais au hasard et on ne peut dire non plus le jour où elle naquit. Elle est le fruit d’une longue maturation des sentiments initiée par le bourgeonnement d’une fleur sur laquelle un grain de pollen vint un jour se poser. Toutefois je sais que toutes les révolutions fleurissent dans les cœurs. Le soulèvement de la population débuta derrière le voile d’une vie en apparence tranquille et bien peu auraient pu dire que le fruit, gorgé de remords, tomberait un jour de l’arbre. On eut dit un de ces hivers qui s’installent sans qu’on ne les entende arriver, déposant les prémices du froid flocon par flocon. C’était le 8 décembre, l’air se troublait sous la respiration des passants et sur les trottoirs enneigés le temps, imperceptiblement, venait recouvrir les traces de pas. Les gens se croisaient sans se saluer ni même se reconnaître, enfonçant leur menton dans le col redressé de leurs longs manteaux tachés de blanc. Je me suis souvent demandé pourquoi cela avait eu lieu un 8 décembre car rien ne prédestinait ce jour à marquer le début d’une nouvelle ère. Aujourd’hui cependant, avec le recul, je me dis que pour quelqu’un dans cette ville le fruit était soudain devenu trop lourd. Je ne sais plus si c’était un homme ou une femme, un enfant ou vieillard. C’était quelqu’un, c’est tout. Quelqu’un qui depuis longtemps déjà avait dû détourner le regard des murs des bâtiments et des pavés pour finir par rentrer chez lui en courant, les yeux à demi-fermés. Quelqu’un qui revoyait dans chaque brique, chaque arbre, tuile ou lampadaire les remords d’un peuple et les souvenirs que l’on tente d’oublier. Quelqu’un qui ne pouvait plus regarder le reflet de ses actes dans le miroir de la ville. Le 8 décembre, en rentrant chez elle, cette personne s’était alors arrêtée face au muret jouxtant le portail d’un vieux parc. Sortant un couteau suisse de sa poche, la lame avait taillader le mur sans relâche jusqu’au soleil couchant. Jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus y voir la moindre parcelle de son visage. Quelques jours plus tard ce parc n’existait déjà plus.

Après avoir inventé cette histoire j’ai pensé à lui. C’était, je crois, la première fois qu’une histoire me ramenait à un homme. Toutefois ce n’est pas l’homme qui m’est venu à l’esprit mais l’être : son côté pessimiste, résigné ; ses mondes sans espoir voués à l’oubli et ses personnages déjà morts. Aurait-il inventé un tel univers ? Au début je le pensais. A chaque fois que j’allumais dans mon esprit les lampions de la ville je songeais à lui et me demandais ce qu’il en penserait lorsque je la lui montrerai. L’aimerait-il ? Je réalisais cependant plus tard que ce n’était pas son monde. Les gens ne le savent pas mais on les glisse un peu tous dans nos histoires. Parce qu’ils sont loin et qu’ils nous manquent, parce qu’on tient à eux un peu plus qu’on ne veut se l’avouer, parce qu’on voudrait leur parler mais qu’on ignore comment et leur transmettre un message qu’ils refusent d’entendre. Jamais il n’aurait inventé, je crois, ce personnage. Différence d’un mètre quarante-sept. Aurait-il dessiné le rouge des lèvres aimées ? Tous mes mots sont bleus.

Lorsque la première pierre a commencé à rouler, le sol se dérobe sous les pieds des autres. C’était comme si, la première entaille faite dans le muret du parc, plus rien n’aurait pu arrêter la révolution de se mettre en marche. Ceux qui, depuis des décennies, avaient tourné le dos à la réalité et fermé les yeux sur le passé virent resurgir dans la faille l’ombre des souvenirs prisonniers et découvrirent sur leurs mains le sang séché des années d’indifférence. Alors, comme muent par un invisible besoin, les habitants cessèrent petit à petit leurs activités quotidiennes pour se munir de marteaux et de pioches. Ils voulaient détruire la ville de leurs propres mains, sentir trembler la pierre et piétiner la poussière. S’ils avaient pu effacer leurs souvenirs ils l’auraient fait mais, à l’inverse, chaque coup infligé à la ville réveillait en eux la douleur des remords. Ils ressemblaient à ces animaux pris au piège qui se débattent avec d’autant plus d’ardeur que l’étau se referme autour de leur cœur.

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31st mai 2015

De ma fenêtre

Salut !

Je pars à la fin de la semaine prochaine en Irlande pour trois mois, autant poster un texte alors avant de partir car je ne sais pas si j’aurai trop la tête à cela là bas. Ce texte est le dernier que j’ai écrit, les autres étant tous trop longs pour être posté en une seule fois.  J’ai essayé ici d’écrire quelque chose de différent de d’habitude. J’espère que cela vous plaira. Si vous avez des questions n’hésitez pas !

Bonne lecture !

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De ma fenêtre


Tout commença par une image, un plan fixe en plongée dans la nuit. Les Hommes, vu de haut, perdaient de leur corpulence et la discussion semblait animée plus par les ombres que par les corps. Regroupés en cercle serré, la plupart avaient la tête baissée et le dos voûté, comme s’ils souhaitaient masquer l’asphalte sous leurs pieds. Une fine pluie tombait en rythme régulier et seul était perceptible le son des gouttes s’écrasant sur le sol. Le son des gouttes s’écrasant sur les leurs pour les percer d’un bruit mat. Sur les lèvres des Hommes des mots se formaient sous les regards fébriles avant d’être emportés par la pluie. Certaines ombres manifestaient plus d’assurance et leurs visages se crispaient parfois de colère tandis qu’ils détachaient distinctement deux syllabes. La première naissait par la séparation brutale des lèvres jointes, découvrant bien souvent des dents serrées dans un rictus de menace à peine dissimulée, tandis que la deuxième entrainait juste un étirement des coins de la bouche qui serait passé pour un sourire sans un regard de mépris inflexible. Invariablement des tremblements naissaient chez certains qui commençaient à s’affairer sous leurs parkas sans plus chercher à dissimuler leurs peurs. Très vite alors les mains se chevauchaient, s’effleuraient malencontreusement. Si un billet venait à tomber par terre son propriétaire, se jetait dessus avant de le frotter contre ses habits pour essayer d’en ôter l’humidité. La transaction effectuée, chacun repartait de son côté. Ils disparaissant dans l’ombre pour ne laisser qu’un sol trempé et piétiné au croisement de deux rues. La pluie cependant continuait à tomber, relief fugace dans la lumière du lampadaire.

La route, un peu vieillie, ressemblait aux visages de ces personnes dont on dit qu’elles ont tout vécu : limpides dans la nuit elles se révèlent au toucher couvertes d’aspérités. La progression du fourgon était chaotique et lente, comme si ce dernier souhaitait laisser le temps au lampadaire de faire un dernier adieu aux passagers assis à son bord. Dans la rue le silence s’était installé. Le monde semblait dormir…une de ces soirées où l’on sait que le matin notre regard se portera vers l’avant mais où on ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à ce que l’on laisse derrière soi comme si on souhaitait graver le souvenir du chemin parcouru. Les secousses du fourgon, au lieu de briser le calme de la nuit, paraissait provenir de son rêve. D’abord lointain, il se rapprocha petit à petit, comme un animal se faufilant et sur lequel les regards se penchent. Bientôt, le bruit du métal s’entrechoquant se fit entendre. Cette sonorité ne lui était pas tout à fait inconnue et même s’il ne l’avait jamais entendu comme telle, elle réveilla de vagues souvenirs. Les vélos et les chiens que l’on attache, le sentiment que le même métal l’avait enchainé à cette terre, l’empêchant de s’enfuir et le forçant à rester spectateur d’un manège qu’il aurait préféré ignorer. Soudain un soubresaut anima le véhicule et une voix familière s’éleva, hésitante, égarée : un jeune homme qui sent que la vie lui échappe.
« As-tu déjà tué un Homme ? »
Doucement le fourgon tourna pour entrer dans le halo de lumière. Il ressemblait au visage flou des personnages de nos rêves dont on connait intimement l’identité mais qui différent en quelque chose de la réalité. Éclairé, le toit d’un blanc sale détonnait dans la nuit. Somnambule sur la Terre, la Lune, ce soir, n’était plus si ronde.
« Oh, c’est bien, reprit la voix. Enfin je veux dire…ta sentence ne devrait pas être trop importance. Quelques mois et tu seras relâché, non ? » Il bégayait, sans plus chercher à garder un semblant de contenance. Aucune fenêtre sur la plage arrière du véhicule, juste des surfaces blanches rendues fantomatiques par la faible clarté du réverbère.
« Et pourquoi tu… » La voix mourut. Déjà le fourgon s’éloignait, petit homme boiteux disparaissant dans le noir. Quelques mots planèrent toutefois un moment, question sans réponse d’une voix un peu plus grave, plus mature mais aussi plus désespérée lui rappelant des sanglots familiers.
« As-tu déjà aimé un homme ? »

Il naquit un jour sans Lune et jeta sur le monde un premier regard maladroit. Les ombres étaient trop grandes, un peu difformes et la lumière trop vive aveuglait bon nombre de créatures qui, à peine sorties, repartaient déjà dans les fourrés, le museau au ras du sol. Même les lucioles le regardèrent d’un mauvais œil, considérant le nouveau venu comme un concurrent immédiat pour les remplacer dans le cœur de la nuit. Ses grands yeux, curieux de tout, balayaient le paysage sans jamais prendre le temps de l’éclairer correctement , projecteurs imprévisibles surprenant l’intimité du monde. Les sons lui parvenaient étouffés, comme entourés de brume, petit être conçu pour voir et non pour entendre. De nombreux jours furent nécessaires pour lui inculquer qu’il devait se coucher à l’aurore et ne pouvait s’éveiller qu’avec les étoiles tandis qu’il fallut attendre des années pour qu’il parvienne à trouver l’origine d’un son avant que celui-ci ne meurt. Malgré le temps, le respect de l’intimité lui resta toutefois étranger, incapable d’agir comme si le monde ne s’était pas dévoilé sous ses yeux. Il aimait l’hiver et ses longues nuits mais plus encore l’été qui emplissait les rues d’animations. Situé à l’entrée d’un parking, au croisement de deux routes peu fréquentées, il ne connaissait pas grand chose du monde mais s’en contentait. Cependant, comme les enfants pensent que jamais ils ne grandiront, le lampadaire songeait que jamais son univers ne changerait. Le corbeau ne s’était pas encore posé sur son épaule.

Débouchant d’une des ruelles, la silhouette s’avança, le pas lourd et la démarche chancelante. De loin sa chemise débraillée et entrouverte était discernable et sa carrure large d’épaule ne trompait pas. S’il avait tout l’air d’avoir passé une soirée un peu trop arrosée, ce sentiment s’envola aussitôt lorsqu’il se mit à courir soudainement, les poings serrées et le menton rentré. Sous ses habits tous ses muscles étaient bandés. Il n’arrêta sa course effrénée qu’à hauteur du lampadaire, pour y décocher un violent coup de poing. Ses épaules furent alors prises de soubresauts et il resta un moment ainsi, les bras ballants, tandis qu’un filet de sang gouttait de son poing meurtri. Il devait approcher de la quarantaine mais semblait aussi perdu qu’un adolescent. Se laissant finalement glissé le long de la barre en fer, il ramena ses jambes contre lui et ne chercha plus à dissimuler ses larmes. Dans ses mains le portrait d’un jeune homme inconnu se troubla petit à petit. Comme d’un commun accord, la lumière se fit décroissante, peut-être plus pour l’apaiser que pour le masquer aux yeux de la nuit. Le réverbère aurait aimé connaître ce qui se tramait dans le cœur de l’homme et quel élément avait pu éveiller en lui un tel dégoût de sa personne au point de n’aspirer qu’à se blesser. Le corbeau lui donna sa réponse.
« Il me rappelle ce camarade albinos qui s’était un jour roulé dans le pétrole jonchant le rivage pour masquer un peu sa différence. » D’un battement d’aile l’oiseau s’envola.
« Il me plaisait bien pourtant, avec son plumage blanc… »

Le roulis des feuilles mortes sur le sol, coque du bateau qui vient entailler l’océan. Les cris qui se rapprochent, enflent comme le grondement de la tempête. Sur le ponton des éclats d’eau jaillissent, relents fétides d’alcool. Leur progression est désorganisée, masse confuse d’écume qui s’étire et se contracte, se meut au grès des courants comme un banc de poisson se contorsionnant pour éviter les mailles du filet. Banc d’hommes qui fonce, aveugle, au devant des matraques. La tempête masque la visibilité et il n’est bientôt plus question de nord ou de sud de droite ou de gauche au milieu des fumigènes. Puis le ciel, lentement se dégage, ombres qui fuient. Ne restent sur le sol que les décombres des vies passées. Alors le lampadaire observe ces Hommes si différents d’eux mêmes après l’orage et cherche autour de lui les restes du monde qui était sien tout comme le mat guette les Hommes qui sont tombés à la mer tout en sachant qu’il est déjà trop tard.

Assis dos au lampadaire, il comptait. Un à un les billets venaient se nicher entre ses genoux serrés et ses lèvres formaient en rythme régulier les chiffres qui se succédaient. Mais chaque fois, à peine avait-il fini que l’incertitude le gagnait. Reprenant la liasse dans ses mains, le même manège recommençait alors. De façon un peu plus fébrile, un peu plus rapide. Plus le temps passait plus il jetait des regards autour de lui, comme s’il craignait qu’une personne ne le surprenne. Ce fut au milieu d’un de ses décomptes qu’un homme surgit au bout de l’allée. Il s’avança d’une démarche assurée vers le halo de lumière. Fourrant les billets au fond de la poche de son manteau le jeune homme se leva en se soutenant au lampadaire et attendit que le nouveau venu arrive à sa hauteur. Il n’était pas tard et si le soleil était déjà couché derrière l’horizon, son souvenir hantait encore le ciel d’un bleu tirant sur le noir. Les rues toutefois étaient désertes : les feuilles mortes s’amoncelaient sans que personne ne soit là pour les ramasser et, près des bancs, des bouts de verre jonchaient le sol. Lorsque les deux hommes se séparèrent, le premier regarda ses mains. Ses mains toujours emplies de papiers. Ses mains vides qui tremblaient. En manque de billets.

Cet hiver, le lampadaire s’en souvint. L’absence de vie et les longues journées passées à observer un monde qui n’était plus le sien, à se souvenir. Il revoyait les enfants courir dans la neige, emmitouflés dans leurs écharpes et leurs bonnets, tourner autour de lui pour s’attraper et se cacher derrière son mince corps. Il se souvient de ce froid mordant que le soleil ne parvenait pas à chasser et de son corps qui, petit à petit, se raidissait. Du métal que rien ne pouvait réchauffer. Il attendait le printemps comme on attend les premières lueurs du jour pour échapper à une nuit emplie de cauchemars.

Lorsque le poignard fusa de sous le manteau noir, le geste était maladroit et empreint de désespoir. Morsure de l’animal qu’on accule. Quelques billets jonchaient le sol tandis que d’autres, encore dans les mains de l’homme, se tachaient de rouge. Soudain le noir se fit, percé ça et là de quelques étoiles filantes perdues dans la ramure d’un oiseau. Perché sur le lampadaire un corbeau venait de déployer ses ailes. Plumage albinos.

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18th avril 2015

L’envol (2/2)

Salut !

Voici la deuxième partie du récit débuté au post précédent. J’espère que la fin vous plaira.

Bonne lecture !

L’envol (1/2)

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L’envol (2/2)

Une légende raconte qu’il y a très longtemps les villageois auraient chassés les oiseaux du ciel, effrayés par ces créatures volant là où leur regards n’osaient se poser. Sortant un jour, des torches à la main, ils les auraient lancés haut dans les airs au royaume des anges. Le ciel aurait alors pris feu, devenant aussi noir que des cendres tandis que, de leurs ailes, les oiseaux tentaient d’étouffer l’incendie. Il parait que, leurs plumes brûlées, ils se seraient enfuis à jamais, laissant le vent seul sur la plaine.

Un après-midi Hegoa arriva sur la colline les bras chargés de morceau de bois. Surpris car ne les attendant pas de si tôt le vent alla se placer au bord de la plaine afin de regarder la jeune femme monter. Il ignorait son nom mais cela ne l’empêchait pas de l’aimer bien qu’il souffrait de ne pouvoir le lui dire.

« Que comptes-tu faire avec tout ce bois ? » demanda-t-elle en écho à la pensée muette du vent.

 » Je voudrais construire une balançoire…c’est pour aller voir la Lune. »

Tandis que la jeune femme arrivait au sommet, le vent lui tendit la main, l’attirant contre lui.

« Mais il n’y a aucun arbre ici pouvant la soutenir » répliqua-t-elle.

Hegoa haussa les épaules, déjà au travail.

« Pas grave, je l’accrocherai aux étoiles »

Au village la lumière des lampadaires était si vive qu’elle masquait les astres et donnait à la Lune un pâle visage. On la distinguait à peine et les villageois auraient bien voulu qu’elle ne soit plus qu’une ombre. Qui aurait pu voir alors que, dans le creux de la Lune, se cachait le dernier oiseau de la plaine ?

Le vent se tut un instant, plongé dans ses souvenirs.

« Un soir l’œuvre d’Hegoa fut achevé et je sentis au regard qu’il laissait derrière lui que rien ne serait plus pareil. »

Des images comme des bulles de savon…

Hegoa tirant sa mère par la main, prêt à s’envoler ; les ombres naissants sur les murs et ce flambeau au milieu de la place.

« Pourquoi cache-t-on la Lune Maman ? Elle est si belle… »

Un enfant, sur la pointe des pieds.

« Je crois qu’après l’incendie un oiseau a fait son nid sur la Lune. »

Doucement le couvercle de la lanterne se soulève.

« J’ai quelque chose d’important à lui demander »

Un souffle, la danse de la flamme puis l’obscurité.

« Dis, tu me pousseras sur la balançoire ? »

Doucement la ville s’éteignit, plongée dans le sommeil.

Certains racontent qu’Hegoa souffla, seul, sur chaque lanterne. D’autres prétendent qu’il appela à lui les ombres aux yeux tristes pour l’aider dans sa tache mais qui sait si, sans le dire, le vent ne descendit pas de la plaine ?

Quelques heures plus tard le jeune femme monta sur la plaine pour y déposer Hegoa. Jamais les villageois ne l’auraient, ils ne lui couperaient pas ses ailes, elle y veillerait.

Ses yeux s’égarèrent dans le vide.

« S’il te plaît, protège le. »

Et, tandis qu’elle redescendait affronter le village, l’air humide de la nuit au creux de ses lèvres avait le goût des promesses éternelles.

Plan fixe sur un carré de nuit. Le crissement du bois se mêle au rire d’un enfant.

« Plus fort ! »

Deux petites jambes traversent le champ, tendues vers le ciel avant de se replier sur elles-mêmes.

« Encore ! »

Le vent, posté derrière l’enfant, attrape de façon rythmique les bords de la balançoire afin de la propulser dans les airs.

Lentement les contours de la Lune se dessinent dans le coin droit du cadre tandis que les mains de l’enfant se tendent vers elle.

« Approche, je ne vais pas te faire de mal. »

Ce soir là la Lune en était à son premier quart et semblait aussi fragile qu’une femme venant d’enfanter.

« Comment t’appelles-tu ? »

Bruissement d’aile alors que, doucement, deux paires de serre se referment sur l’arrête de la Lune.

« Moi c’est Hegoa. »

Dans le lointain des torches rallument les étoiles de la terre.

« Dis, tu m’apprends à voler ? »

Et, lorsque les deux oiseaux s’élancèrent dans les airs, l’enfant lâcha la corde suspendue aux étoiles et sauta dans le vide. Alors, dans le vent il vola et les rêves, doucement, repeuplèrent le ciel.

***

Une petite main tira sur ma manche, faisant déraper ma plume.

« Pourquoi est-ce que la jeune femme ne retourne pas voir le vent ? »

Je regardai son visage et ses grands yeux emplis de questions. Il me ressemblait un peu mais il avait les cheveux blonds d’Hegoa. Il était toujours là près de la plume, comme un encrier.

« Parce que toutes les femmes s’en vont un jour bien que l’on ignore souvent leurs raisons. Celle que j’aimais est partie. »

Il inclina légèrement la tête sur le côté, semblant ne pas comprendre.

« C’est à cause des villageois ?

- Peut-être. »

Alors que je lui souriais, satisfait de ma réponse il fit demi-tour et, en le regardant s’éloigner je cru distinguer dans son dos l’étrange reflet de deux ailes.

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21st février 2015

L’envol (1/2)

Salut !

Voici un texte écrit il y a de cela un an je crois (et oui, admirez le retard de post que j’ai !). Comme d’habitude cette histoire m’est venue d’une image, celle qui clôturera l’histoire au prochain épisode !

Bonne lecture !

L’envol (2/2)

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L’envol (1/2)

Sur la plaine l’herbe ondulait, bercée par le vent. Le suivant dans son sillage comme un enfant aux jambes trop courtes courrai derrière ses parents, la fraîcheur de la nuit approchait. Ce n’était pas de ces brises annonciatrices de sang ou de pluie faisant converger les regards vers les lèvres de la tempête et plisser les yeux pour ne pas pleurer. C’était une brise à l’ample foulée -éprise de voyage et d’histoire- sur le dos de laquelle chevauchent les souvenirs du ciel et de la terre. Un peu plus loin, dans le creux d’une colline, à cette heure où le soleil projette ses derniers rayons, les ombres jouaient dans les rues et sur les murs d’un village. On aurait presque pu entendre leur rire. C’était alors que le bal commençait. Un à un les villageois sortaient de chez eux et traversaient les ruelles, un paisible sourire sur le visage. Chacun connaissait son cavalier et ses pas de danse. Pour certains c’était des réverbères pour d’autres des lanternes. Lorsqu’ils arrivaient à leur hauteur ils soulevaient leur chapeau ou faisaient virevolter l’ourlet de leur jupon tout en inclinant la tête. Ces politesses échangées, se hissant sur la pointe des pieds, d’une seule allumette frottée contre un mur, la lumière jaillissait. Ce n’était qu’une fois ce rituel accomplit que les villageois rentraient chez eux, tenant par la main les ombres aux yeux tristes.

Je tendis l’oreille : le vent chantait ; une longue complainte d’amour pour une femme aimée et disparue. Il me confia que s’il jouait avec l’herbe c’était pour ne pas oublier toutes ces nuits passées, son souffle dans son cou, à faire onduler les mèches folles de ses cheveux.
« Raconte-moi » murmurai-je.
Et il me raconta.

Il était une fois un village où la poésie n’avait pas sa place et où les enfants interdits de rêver n’étaient plus que des ombres aux yeux tristes tandis que ceux osant braver les règles étaient bannis sur la plaine.
Il était une fois une brise amoureuse…


« Attends mon chéri, reviens ! On n’a pas le droit de monter sur la plaine ! »
Une voix, comme un flocon d’émotion qui viendrait fondre là où se rejoignent les lèvres. Il la rencontra un soir, au crépuscule. Fatigué de sa longue journée il s’était allongé, la tête posée au creux de ses mains. Cependant à peine l’eut-il entendu qu’il était déjà accroupi, tous les sens aux aguets. La première personne qu’il vit apparaître à l’horizon fut un enfant aux cheveux si blonds qu’ils en paraissaient presque blancs. Il courrait, les yeux levés vers le ciel comme s’il voulait attraper les papillons.
« Hegoa, tu m’entends ? Reviens ! »
Sa rapidité et son agilité sur l’herbe ondoyante lui donnaient l’air d’un jeune oiseau avant son premier envol. On s’attendait presque à voir des ailes se déplier dans son dos.
« Hegoa ! »
Silence. Dans son cou étaient posées les tièdes lèvres du vent.

Au centre du village se tenait une place entourée de réverbères quelque peu voûtés, saluant majestueusement le flambeau central qui jamais ne s’éteignait. Il éclairait des dalles couvertes d’une écriture si vieille qu’elle en était difficilement reconnaissable et qui rappelait à quiconque voulait bien les lire, les trois principes à n’enfreindre sous aucun prétexte :
« Il est interdit de jouer avec les ombres à la nuit tombée ou de monter sur la plaine. »
Et, un peu plus loin, à moitié effacé :
« Ne jamais éteindre les lampadaires une fois le soleil couché. »


Nul ne sût qu’ils étaient montés sur la colline. En réalité personne ne levait les yeux aussi haut et même s’ils avaient voulu regarder les étoiles ils ne l’auraient pu : la clarté des lanternes étaient comme un nuage cachant le Soleil. Assise sur les marches devant sa maison, la jeune femme regardait son enfant jouer. Dès son plus jeune âge la différence d’Hegoa lui était apparue : il portait sur le monde un regard…aérien. Ses yeux allaient de droite à gauche et de gauche à droite, curieux de tout ; courant sur les pavés plus vite que ses frêles jambes le lui permettaient et ne se posant quelque part que pour mieux s’élancer.Très tôt la jeune mère avait compris qu’elle devrait le protéger du village ; seulement comment veiller, à terre, sur un oiseau dont chaque battement d’aile réveille un rêve ?

Les soirs qui suivirent Hegoa voulu retourner sur la colline et sa mère ne put l’en empêcher, sentant au fond d’elle un étrange besoin de chaleur. Chaque fois le vent se réjouissait lorsque l’enfant arrivait, courant sur la plaine, les bras écartés perpendiculairement à son corps. Ses yeux toujours levés vers le ciel, semblaient fixer la Lune et si sa mère, parfois, ne l’avait rappelé, peut-être se serait-il envolé jusqu’à elle. Malgré l’interdiction bien connue de monter sur la colline, la jeune femme se sentait apaisée, comme si quelqu’un à ses côtés l’enlaçait et la rassurait. Ces soirs là deux regards veillaient sur Hegoa avant, parfois, de se rencontrer. La plaine alors, n’était plus qu’immobilité.

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