Les lumières de l’automne (1/2)
Salut !
Voici la première partie d’un texte écrit je ne sais plus quand ! Début d’année dernière mais plus précisément je ne peux vous dire.
Bye et bonne lecture !
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Les lumières de l’automne (1/2)
Au soleil couchant le cessez-le feu avait été déclaré. Les rues, plus rouges que l’horizon, avaient été désertées, chacun allant chercher un peu de sommeil derrière son mur gris, sa maison de barbelé. Les façades de pierre s’effritaient dans le vent comme si elles euent été de sable, comme un tombeau enfoui volerait en éclats sous les rayons du soleil. Chaque jour dans les rues de nouvelles artères voyaient le jour, implosion d’une ville au goût de poussière, et les couleurs semblaient s’être envolées du monde sur le dos des oiseaux ayant fuit peu de temps auparavant. Seul subsistait le blanc des visages et des pupilles immobiles, le noir des nuits sans étoiles et le rouge de l’horizon mis à mort par la Lune. Le gris au fond n’était que le doute des paupières mi-closes tentant d’observer le paysage tout en refusant la pâleur des corps.
La nuit, après que tout le monde se fut assoupi, le vent au travers des avenues donnait à la ville une respiration aux allures de râle qu’entrecoupait parfois le crissement d’une mine sur le papier. Assis en tailleur au milieu d’une ruelle, de dos on eut dit un grand manteau gris suspendu dans les airs tandis qu’à ses pieds gisait le sol meurtri, dénudé par le vent. De face toutefois il semblait moins effrayant, enfant tenant entre ses mains un petits calepin aux bas de page cornés par le temps et la violence. Ce soir là il s’appliquait à dessiner un coquelicot et voulait le faire si beau qu’il aurait pu séduire toutes les abeilles. Lorsque son crayon dérapait il humidifiait son index du bout des lèvres avant d’effacer la bavure. Son ouvrage achevé il décrocha la feuille, la déposa sur le sol puis fit demi-tour. Peu après, lorsque la poussière eut repris ses droits, elle découvrir aux côtés du croquis un coquelicot fané, emporté par les déflagrations des combats. J’aurais bien voulu embrasser ses pétales encore rouges.
Au fond inventer une histoire c’est un peu comme essayer de se rappeler d’un lointain souvenir, un de ces souvenirs d’enfance aux proportions déformées et où les jardins de jeux ont la taille des forêts. Le cadre est flou et les protagonistes sans visage. Petits êtres dans la tumulte ils lèvent les yeux vers le ciel sans comprendre. Pourquoi pleurent-ils ? A l’arrière d’une voiture, à moitié assoupies, de frêles oreilles se tendent pour saisir des mots, des idées et rajouter ainsi quelques touches de couleurs à leurs mondes. Dans l’étourdissement du sommeil tout n’est alors plus que flashs de lumière et de son : ils dessinent des portes sans maison et des arbres qui se fanent, bercent des rêves au creux de leurs bras avant de relier les étoiles pour leur jouer un de ces airs que les parents fredonnent aux enfants. Se souviennent-ils seulement pourquoi le coquelicot ne respire plus ?
Voici l’histoire d’une ville, une ville sans époque ni pays, ruine crachant de la poussière comme d’autres du sang. C’est l’agonie d’une cité ayant atteint son apogée, la démence d’un monde dont le squelette vacille, trop lourd de ses péchés. Son peuple a depuis longtemps disparu, prenant les armes pour la détruire. Ils n’entendent même plus sa complainte, mélange de détresse et de colère, effrayante résignation d’un être qui sait que jamais il ne pourra lever la main sur ses enfants. Pourtant, plus le temps passe plus il devient évident que la population ne survivra pas à la chute de sa cité : leurs corps se font plus maigres à mesure que les ruelles disparaissent et leurs peaux semblent devenir aussi blanche que la Lune. Certaines femmes en viennent même à se coudre sur les lèvres des pétales de coquelicot pour leur redonner le rouge d’antan. Un seul habitant refuse la mort de la cité et tente de la protéger : un petit enfant au long manteau gris. Il parait qu’il est tombé amoureux d’elle il y a longtemps.
Lorsque je regarde la ville désormais je peine à me souvenir de son visage d’antan, reconnaissant tant bien que mal ses traits sous les cicatrices. Toutefois si les images sont floues les sentiments, eux, sont restés intacts et je ne peux m’empêcher de poser sur elle un regard empli de respect et d’admiration. C’est face à la douleur que l’on reconnait les plus grands Hommes. Je me souviens de ses immenses boulevards où fourmillait la vie, du ballet de la foule et de la lumière interprétant ses plus beaux reflet sur les parois des tours, miroir d’un coucher de soleil. Je revois les étoiles de la ville s’allumer une à une sur les frontons des boutiques tandis que descendait le lourd rideau de la nuit, poursuivit chaque fois par les longs manteaux gris, ombres chinoises errant dans les rues assoupies. Si seulement j’avais su dessiner, peut-être aurais-je pu ranimer la ville pour lui rendre la splendeur de nos souvenirs.
Il était né il y a bientôt dix ans loin de la ville et nul ne pouvait dire si c’était dans le village voisin, la forêt en bordure ou une lointaine contrée car tous ignoraient le visage du monde hors de l’enceinte de la cité. Assis sur le rebord d’un muret jouxtant un ancien cimetière, ses jambes se balançaient dans le vide tandis que son regard errait dans les rues rougies par le soleil. Depuis combien de temps dessinait-il la ville ? Il ne s’en rappelait plus. Ni de cela ni du nombre de feuilles griffonnées qu’il avait déposé sur le sol, les murs ou les bâtiments. Il n’avait, je crois, même pas compté. Lançant sa jambe au dessus du muret il fit pivoter son buste pour faire face au cimetière. Compte-t-on lors d’une guerre le nombre de personnes auxquelles on ôte la vie ? Ne préfère-t-on pas l’oublier ? Les tombes alignées tombaient en ruine alors même que cette partie de la ville n’avait pas encore été saccagée. Peut-on seulement l’oublier ? Se chevauchant les unes, les autres on eut dit que les tombes se soutenaient tandis que sur une plaque de marbre gisait le corps fatigué d’une rose rouge. Ses pétales ridées se reposaient sur une feuille de papier à leurs côtés, un peu jaunie, comme si elle voulait annoncer la venue prochaine de l’automne. Dépose-t-on des roses en hommage aux êtres qui nous étaient chers ou pour offrir à ces fleurs une digne sépulture ?
Une révolution n’arrive jamais au hasard et on ne peut dire non plus le jour où elle naquit. Elle est le fruit d’une longue maturation des sentiments initiée par le bourgeonnement d’une fleur sur laquelle un grain de pollen vint un jour se poser. Toutefois je sais que toutes les révolutions fleurissent dans les cœurs. Le soulèvement de la population débuta derrière le voile d’une vie en apparence tranquille et bien peu auraient pu dire que le fruit, gorgé de remords, tomberait un jour de l’arbre. On eut dit un de ces hivers qui s’installent sans qu’on ne les entende arriver, déposant les prémices du froid flocon par flocon. C’était le 8 décembre, l’air se troublait sous la respiration des passants et sur les trottoirs enneigés le temps, imperceptiblement, venait recouvrir les traces de pas. Les gens se croisaient sans se saluer ni même se reconnaître, enfonçant leur menton dans le col redressé de leurs longs manteaux tachés de blanc. Je me suis souvent demandé pourquoi cela avait eu lieu un 8 décembre car rien ne prédestinait ce jour à marquer le début d’une nouvelle ère. Aujourd’hui cependant, avec le recul, je me dis que pour quelqu’un dans cette ville le fruit était soudain devenu trop lourd. Je ne sais plus si c’était un homme ou une femme, un enfant ou vieillard. C’était quelqu’un, c’est tout. Quelqu’un qui depuis longtemps déjà avait dû détourner le regard des murs des bâtiments et des pavés pour finir par rentrer chez lui en courant, les yeux à demi-fermés. Quelqu’un qui revoyait dans chaque brique, chaque arbre, tuile ou lampadaire les remords d’un peuple et les souvenirs que l’on tente d’oublier. Quelqu’un qui ne pouvait plus regarder le reflet de ses actes dans le miroir de la ville. Le 8 décembre, en rentrant chez elle, cette personne s’était alors arrêtée face au muret jouxtant le portail d’un vieux parc. Sortant un couteau suisse de sa poche, la lame avait taillader le mur sans relâche jusqu’au soleil couchant. Jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus y voir la moindre parcelle de son visage. Quelques jours plus tard ce parc n’existait déjà plus.
Après avoir inventé cette histoire j’ai pensé à lui. C’était, je crois, la première fois qu’une histoire me ramenait à un homme. Toutefois ce n’est pas l’homme qui m’est venu à l’esprit mais l’être : son côté pessimiste, résigné ; ses mondes sans espoir voués à l’oubli et ses personnages déjà morts. Aurait-il inventé un tel univers ? Au début je le pensais. A chaque fois que j’allumais dans mon esprit les lampions de la ville je songeais à lui et me demandais ce qu’il en penserait lorsque je la lui montrerai. L’aimerait-il ? Je réalisais cependant plus tard que ce n’était pas son monde. Les gens ne le savent pas mais on les glisse un peu tous dans nos histoires. Parce qu’ils sont loin et qu’ils nous manquent, parce qu’on tient à eux un peu plus qu’on ne veut se l’avouer, parce qu’on voudrait leur parler mais qu’on ignore comment et leur transmettre un message qu’ils refusent d’entendre. Jamais il n’aurait inventé, je crois, ce personnage. Différence d’un mètre quarante-sept. Aurait-il dessiné le rouge des lèvres aimées ? Tous mes mots sont bleus.
Lorsque la première pierre a commencé à rouler, le sol se dérobe sous les pieds des autres. C’était comme si, la première entaille faite dans le muret du parc, plus rien n’aurait pu arrêter la révolution de se mettre en marche. Ceux qui, depuis des décennies, avaient tourné le dos à la réalité et fermé les yeux sur le passé virent resurgir dans la faille l’ombre des souvenirs prisonniers et découvrirent sur leurs mains le sang séché des années d’indifférence. Alors, comme muent par un invisible besoin, les habitants cessèrent petit à petit leurs activités quotidiennes pour se munir de marteaux et de pioches. Ils voulaient détruire la ville de leurs propres mains, sentir trembler la pierre et piétiner la poussière. S’ils avaient pu effacer leurs souvenirs ils l’auraient fait mais, à l’inverse, chaque coup infligé à la ville réveillait en eux la douleur des remords. Ils ressemblaient à ces animaux pris au piège qui se débattent avec d’autant plus d’ardeur que l’étau se referme autour de leur cœur.
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