En noir et blanc (2/2)
Salut !
Voici la fin du conte dont je vous avais présenté le début il y a quelques mois. Entre temps j’ai repris les cours : deuxième année d’école d’ingé !
J’espère que la fin du conte vous plaira, n’hésitez pas à me donner votre avis.
La première image est une plume que deux de mes amies m’ont offert pour mes 21 ans et la deuxième image un tableau de Begarat de mes parents.
Bye et bonne lecture !
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En noir et blanc (2/2)
Certaines vocations surviennent tard dans la vie, à cet âge où le temps à déjà façonné les êtres que nous sommes. D’autres surgissent entre l’adolescence et le début de l’âge adulte, à cette période de notre existence où tout, jusqu’à notre identité, est remis en question. Et puis il y a celle qui n’ont, en apparence, aucune origine. Dites-moi : j’avais quel âge quand je suis née ?
Depuis quelques mois je me pose souvent une question : « Pourquoi ? »
Pourquoi ces lettres sur ma feuille et ces paysages dans ma tête ; ces lèvres qui remuent à peine, rythme imperceptible des mots, et cette impression qu’une plume à la main je sais enfin danser ?
Je me souviens petite de ces histoires que je racontais à ma mère avant qu’elle ne me dise qu’elle devait faire autre chose, de ces rêves d’enfant qu’on remonte à la réalité et du bout de sa plume suspend aux nuages, de ces envies d’ailleurs et de liberté ainsi que de ces sentiments anonymes que je glissais à leur encontre dans le cœur des personnages dans l’espoir que l’on fasse connaissance.
« Pourquoi ? »
Un court silence, reflux des graviers sur la grève.
« Pour écrire ce que la vie nous interdit et devenir ce que je ne serai jamais.
Pour m’échapper d’un monde un peu trop étroit et coudre des plumes dans le dos des enfants.
Pour accrocher des Lunes aux toits des maisons et peindre dans les forêts des arbres de rouille.
Pour une voix dans ma tête, ce regard innocent qui réclame des histoires et des tableaux où s’endormir. »
Les syllabes que l’on sépare et les lettres qui se font lourdes, comme gorgées d’encre.
« Pourquoi ? »
L’impatience d’une plume.
« Parce que. »
C’était le troisième tableau qui bénéficiait de la plupart de son attention. Il pouvait rester des heures assis face à lui à observer la brusque déchirure de l’espace, les rails qui sombraient dans l’oubli et les arbres dont les branches semblaient soudain se briser. Toile écartelée.
On racontait que c’était une représentation de la surface mais au fond qu’en savait-on réellement ? Après la Catastrophe les survivants s’étaient réfugiés sous terre et avaient battis le Souterrain. Toutefois cela devait faire des décennies voir des siècles que personne n’était remonté à la surface et nul ne savait d’où provenait ces tableaux. Certains parlaient d’un peintre fou de l’ancien temps ou encore de reliques d’avant la Catastrophe mais cela faisait longtemps que nul ne s’était de nouveau intéressé à l’origine de ces tableaux, les habitants n’y trouvant aucun profit et les historiens préférant se pencher sur la Catastrophe elle même.
Les rumeurs sont orphelines.
Il l’appelait le Tableau malade et depuis qu’il l’avait découvert il hantait ses nuits. Un battement de paupière et des notes de couleurs semblaient éclore dans l’ombre, bulles de savon qui éclatent. Tous les jours en l’observant il songeait à sa résolution de le soigner, à ce rêve qui s’était immiscé en lui d’achever le tableau. Il ne se rappelait pas comment cette idée lui était apparu. C’était comme si, gravé en lui, il y avait toujours eu la certitude que ses petites touches de couleur éparses pourraient un jour enfanter un paysage.
Les barreaux de l’échelle étaient humides. Ses yeux aussi. Peut-être à cause de cette toile dont l’extrémité, bien qu’enroulée dépassa de son sac et des deux autres qu’il laissait derrière lui. Peut-être en raison de ces habitants qu’il quittait sans un au revoir, de ces historiens à la longue barbe qui très vite lui manqueraient et de ce sentiment pesant de fuir comme un voleur. Emportait-il la toile uniquement pour la soigner ou également pour une raison qu’il se refusait d’admettre ? N’avait-il pour seul but que de finir la toile ou bien souhaitait-il depuis longtemps, au fond, fuir le Souterrain ?
Il cligna des yeux et une petite goutte d’eau salée chuta au sol.
Peut-être était-ce simplement en prévision de la lumière du jour qui, bientôt, viendrait l’éblouir.
Les murs blancs et droits de la chambre où se découpaient de petites fenêtres. Les portes closes des salles de cours qu’on ouvrait parfois pour avoir un peu d’air.
Les lignes du grillage encerclant la cour de récréation et ces barreaux sur la feuille. Ce crayon entre mes mains -pression- que l’on brise et ces lèvres que mes doigts ont cousu.
Je me fous du talent de Rimbaud.
J’admire ses rébellions.
Ses fugues.
« Dis, tu m’enseignes la Liberté ? »
S’il avait su serait-il redescendu ? Aurait-il ramené le tableau dans le Tunnel ? Nul ne lui avait dit qu’après la Catastrophe tout était devenu noir et blanc, effrayant paysage de photographie. Le ciel était pâle et les arbres semblaient recouverts de poussière.
Il jeta un coup d’œil en bas : l’échelle était comme coupée en deux au niveau de l’entrée du Souterrain. Sur sa partie inférieure il distinguait la mousse verdâtre et les traces de rouille sous-jacente avant que, plus haut, ne disparaisse toute couleur.
Rapidement il se hissa au sommet de l’échelle sur des rails d’un gris sale. Machinalement il se vit attraper la manche de son pull et commencer à frotter le métal à ses pieds tandis que son esprit s’éloignait :
« Qu’est ce que vous faîtes Monsieur ? »
Des souvenirs, en noir et blanc.
« Je nettoie l’échelle. »
Son regard vers la surface.
« Elle mène où l’échelle ?
- A un chemin de fer il paraît. »Il fronce les sourcils.
« Faudra le nettoyer aussi le chemin de fer ?
- Probablement. »
Un sourire. Le sien ou celui du monsieur, il ne sait plus.
« Qu’y a-t-il au bout du chemin de fer ? »
Un clin d’œil malicieux.
« La mer. »
Je n’ai jamais réussi à fixer les couleurs, à les décrire. Ce n’était pas important pour moi, un détail, comme si les nuances étaient infinies et qu’il m’était impossible de choisir.
Y a-t-il plus de mots ou de teintes ?
J’aime la nuit et ses histoire en noir et blanc, neiges éternelles.
Alors, de ne pas choisir, je me sentais libre.
Il marchait. Un pas après l’autre sur les lignes du chemin de fer comme les mots s’alignent sur le quadrillage des feuilles de papier.
J’écrivais.
Des trains contorsionnés dans d’immenses crevasses et des morceaux de tôle égarée, des arbres penchés sous le poids des nuages et la peur au fond du regard.
Où allait-il avec son tableau malade qu’il ne pourrait jamais soigner et ses bras trop grands qu’il ne savait qu’enrouler autour de ses jambes.
Il cherchait des réponses à des questions inconnues.
A nier la réalité de la surface, les habitants du Souterrain lui avaient-ils fait perdre toute couleur ? N’existe-t-on que dans le regard des autres ?
Je crois qu’il cherchait quelqu’un sans savoir qui se présenterai à lui tout comme la feuille attend le regard sans savoir de quel lecteur il viendra.
« Regarde ! La mer ! »
Une voix aux milles couleurs, comme un flash dans l’obscurité. L’enfant se retourna. Dans le lointain il aperçus un petit garçon un peu plus jeune que lui, ses grands yeux tournés vers l’horizon et son poing refermé sur le vide, comme s’il voulait entraîner quelqu’un à sa suite. Il ressemblait à un papillon…
Soudain l’enfant se mit à courir sur les rails et il le perdit de vue, étincelle qui vacille.
« Attends ! » Cri pour retenir le temps alors que tout s’accélère : un tableau se met en marche tandis qu’un garçon se retourne et ce sont désormais deux paysages qui courent l’un vers l’autre.
Puis tout se figea et ils se firent face. L’un, accroupi, avait un sac sur le dos et l’autre serrait dans son petit poing une main invisible. Alors, sans un mot, comme s’il avait toujours dû en être ainsi, le Maître des Couleurs prit l’enfant dans ses bras.
Il m’avait entraîné. Vers la mer et mes origines, vers mon avenir peut-être aussi. Ses petits doigts avaient saisi ma main pour la guider vers cette feuille, océan sans couleur. Je crois qu’il ne voulait plus être seul.
« Tu sais peindre ? » avait-il demandé.
J’écris pour cet enfant. Pour tous les enfants.
Pour ceux qui n’ont pas encore grandi et ceux qui ne meurent jamais, terrés au fond de nos cœurs. Pour ceux nés au milieu des guerres , entre quatre murs ou dans les banlieues dortoirs, pour les exilés du bonheur et les rêveurs en pointillés, ces enfants qui marchent à cloche pied sur les lignes noires et blanches de la réalité.
Pour l’innocence de l’Humanité.
C’était comme si l’enfant accompagnant le Maître des Couleurs connaissait cet univers par cœur, comme s’il avait participé à sa création pierre par pierre, écoutant au loin les plans de l’architecte.
« Je voudrais te présenter trois amis. »
Dans la mémoire du petit Maître les souvenirs étaient flous, comme brouillés.
Il se souvient avoir suivi l’enfant sur des rails longeant l’océan jusqu’à un croisement d’où s’élevaient des voix. En tailleur sur le chemin de fer et formant un petit cercle il avait découvert trois êtres étranges, si vieux qu’ils semblaient être nés en même temps que l’univers. Deux étaient des femmes et le troisième, un homme, s’exprimait à grand renfort de gestes tandis que l’enfant tirait doucement la manche de sa tunique :
« Non petit, laisse nous finir notre tableau, il y a encore de nombreux points dont nous devons discuter entre nous. »
Jamais il n’oubliera le regard triste de l’enfant et la couleur qui semblait s’en échapper, rêve envolé.
« Mais…on m’avait dit que l’océan pouvait prendre toutes les couleurs. Pourquoi est-il gris ? »
Sans lui prêter attention ils se remettaient à parler de tableaux disparus et de la Catastrophe, d’un monde où soudain les couleurs s’étaient fanées et d’une toile inachevée. Ils fouillaient leur souvenirs à la recherche de teintes oubliées, voulaient finir un tableau qu’ils ne possédaient plus et le faire à l’image d’un paysage qui s’était tût.
Bien qu’étant à quelques mètres à peine d’eux, la conversation parvenait de façon fragmentaire au maître des Couleurs, comme lorsqu’une feuille tombe d’un arbre et qu’alors l’arbre lui même devient flou et semble s’effacer. Ce soir là, la feuille était une échelle en bordure du croisement et elle s’élevait vers les nuages à l’infini.
Alors, oubliant la toile malade et les peintres fous, la Catastrophe et le Souterrain, il déposa son sac au sol puis sorti sa palette de couleurs et ses pinceaux.
… « Les tableaux, ils sont trop hauts, je n’arrive pas à les soigner. » Souvenirs d’un enfant perdu.
« Ce soir je te construits une échelle Petit Maître, ne t’inquiète pas. » Une voix rassurante.
… « Elle mène où l’échelle ? » La même voix des années plus tard, auquel répondit le sourire des peintres.
« A tes plus beaux rêves. »
Une marche puis une autre. En bas ils n’étaient plus que trois : l’enfant était parti rejoindre la mer.
Un pas puis un autre. Jusqu’où s’élèvent nos rêves ?
Soudain il s’arrêta, humecta son pinceau du bout des lèvres puis le trempa dans une couleur. Un rouge, un beau rouge couleur de rouille.
Et lorsqu’il le posa sur le ciel ce dernier rougit. Peut-être l’avait-il ému…
Un peu plus bas, en écho, une petite tâche sur l’océan se teinta de rouge et, assis sur les rails en face de la mer, un enfant sourit.
Le premier geste de liberté est d’écrire. Avec un pinceau ou une plume, un burin dans la pierre ou une corde pincée et d’enfin briser les chaînes de nos esprits. Les siennes d’abord puis celles de la société.
Après il n’y a plus grande différence entre les rêves et la réalité. Juste une histoire de teinte.
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