Lettre à un jeune poète de Rilke.
Salut !
C’est la fin des cours ! L’année prochaine je passerai en section scientifique, cela peut sembler étrange étant une passionnée de littérature mais je peux vous promettre que ça ne m’empêchera pas de continuer à écrire !
Sinon j’ai récemment vu mes poèmes de cette année dans le recueil du lycée des secondes, je pense que vous pouvez comprendre ma joie…
Je tiens aujourd’hui à vous présenter un livre et son auteur : Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke.
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Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke
Je ne suis généralement pas du style à acheter ni à lire de tel livre que je trouve souvent trop compliqué et pas assez reposant comme lecture. Je ne vais pas vous le cacher, il en est bien des fois ainsi. Néanmoins ce qui contraste avec cette caractéristique et ce qui l’a rendu très agréable pour moi c’est l’alignement même des mots et des phrases. Le texte est très fluide, les phrases durent parfois un paragraphe entier mais elles sont envoûtantes. Chaque livre n’est qu’un ensemble de lettres et de mots mais ici, par sa complexité qui m’a obligé à de nombreuses reprises à relire les paragraphes, ce sont plus. Chaque mot est un mystère et doit être déchiffré pour tenter d’en tirer tout le sens; chaque mot a sa propre personnalité. En réalité j’ai aimé ce livre parce qu’il nous laisse rêver à la signification de la phrase et donne une entière liberté à notre imagination.
L’auteur, Rainer Maria Rilke est un poète né en Autriche (1875-1926) mais ayant passé sa vie à voyager dans toute l’Europe il ne se sent appartenir à aucun pays. Du fait de ces nombreux périples il a appris plusieurs langues, l’allemand dans laquelle il écrivit le plus, le russe et le français qu’il étudia à la fin de sa vie lors de ces séjours à Paris pour finalement écrire des poèmes en cette langue.
Ce livre se décompose en trois parties majeures :
Lettres à un jeune poète : Dans cette première partie, après un préambule retraçant des brides de la vie de Rilke, nous est proposé l’échange entre un jeune poète, Kappus, et Rainer.L’auteur donne alors des conseils sur l’écriture à son correspondant tout en nous présentant à travers ses propos sa vision de l’écriture. Ce fut de toutes la partie que j’ai le plus aimée par le fait que lors d’un instant j’appréhendais la littérature, et plus généralement la vie, différemment. Ainsi par les mots et les conseils, que Rilke doit probablement avoir appliquer dans sa jeunesse, c’est l’âme d’un poète que l’on découvre. Durant ma lecture j’ai regroupé des phrases qui me plaisaient, qui avaient pour moi de l’importance ou simplement que je trouvaient belles. Je vous les aient donc recopiés en bas de l’article.
Il n’y eut pas beaucoup de lettres échangées entre eux, le temps s’écoulant entre deux correspondances atteignant souvent plusieurs mois. De plus Rilke eut de nombreux autres échanges avec des écrivains de toutes nationalités et ses lettres pouvaient parfois allier plusieurs langues. Néanmoins seules celles destinées à Kappus figurent dans ce livre.
Proses d’un poète : Dans cette partie sont regroupés deux textes en prose comme le titre l’indique. Le premier "Instant vécu" raconte toutes les sensations, les souvenirs, les pensées qui affluent dans l’esprit du narrateur lorsqu’il est adossé, un livre à la main, à un arbre. Je n’ai vraiment apprécié ce texte qu’à la deuxième lecture, où cette fois-ci, sans rien chercher à comprendre je me suis simplement laisser porter par les phrases pour découvrir un monde imaginaire me l’appropriant un court instant pour devenir cet homme.
Le deuxième texte déjà moins fantaisiste, " Bruit Originaire", relate les souvenirs du poète à propos du phonographe et de la suture sagittale. Ce texte me fut plus simple à comprendre mais il comporte néanmoins de la magie par la relation étrange que l’auteur nous présente entre ces deux éléments.
Un poète français : Dans cette dernière partie il nous est tout d’abord expliqué (ou du moins tenté) la raison pour laquelle Rainer écrivit en français ainsi que sa vision des langues avant que nous puissions lire ses poèmes classés en deux catégories : "Verger" dont ce simple mot l’inspira fort n’existant pas en allemand, puis les Quatrains Valaisans.
Ces poèmes sont tous pour la plupart très courts ce qui les rend assez sympathiques à lire. Deux quatrains que j’ai beaucoup aimé, mais appartenant à des poèmes différents sont :
"Paume, doux lit froissé "Vues des Anges, les cimes des arbres peut-être
où des étoiles dormantes sont des racines buvant les cieux;
avaient laissé des plis et dans le sol les profondes racines d’un hêtre
en se levant vers le ciel." leur semblent des faîtes silencieux."
Voici désormais des phrases qui m’ont marquées :
"Ce qu’on écrit à 21 ans est un cri, est-ce qu’on se demande, lorsqu’on crie, s’il aurait fallu crier autrement ?" C’est ma préférée, simplement parce qu’elle est la plus vraie et qu’elle décrit le mieux ce que je ressens.
"Peut-être la gloire n’a-t-elle jamais été la somme de tous les malentendus."
"Vous faudrait-il mourir s’il vous était interdit d’écrire ? Dois-je écrire ?" Je me pose encore la question…
"Les richesses de l’univers poétiques ne sont accessibles qu’à celui qui vit dans la pauvreté."
"Entrez en vous-même, éprouvez les profondeurs d’où jaillit votre vie, c’est à sa source que vous trouverez la réponse à la question : dois-je créer?"
"Le créateur doit-être lui même un monde." La représentation de l’imagination et de son étendue sur l’être est magnifique ici.
"Cherchez la profondeur des choses : l’ironie ne descend jamais jusque-là."
"Être artiste veut dire : ne pas calculer ni compter; mûrir comme l’arbre qui ne hâte pas sa sève et qui, tranquille, se tient dans les tempêtes de printemps sans redouter qu’après elles puissent ne pas venir l’été."
"J’ai essayé d’approcher ma vie de la nature même." Cette phrase Rilke l’écrivit à Rodin pour lequel il avait beaucoup d’admiration.
"Et il s’agit de tout vivre. Vivez maintenant les questions." Mais qu’est-ce que vivre une question ? S’en imprégner jusqu’au plus profond de soit, jusqu’à ce que l’interrogation devienne une part de nous et ressurgisse dès le plus petit doute ?
"Du manger aussi, les hommes ont fait autre chose: misère d’un côté, surabondance de l’autre, ils ont troublé la clarté de cette nécessité." Je ne trouve pas cette déclaration aussi belle d’un point de vue littéraire que celles d’au-dessus mais elle est d’une incroyable vérité et touche à notre actualité.
"Dans une seule pensée créatrice revient mille nuits d’amour oubliées qui l’emplissent de majesté et d’élévation."
"Toute vie en commun ne peut aider qu’à fortifier deux solitudes voisines."
"Les vers ne sont pas seulement le fruit de l’expérience vécue par le poète; ils peuvent aussi la susciter." Si chaque vers est consciencieusement puissé en nous alors écrire devient la plus belle expérience pour se connaître.
"Rentrer en soi-même et, des heures durant, ne rencontrer personne. Voilà ce qu’il faut atteindre." C’était un conseil écrit à Kappus mais j’avoue ne l’avoir toujours pas compris, ou du moins j’ignore encore comment le mettre à l’oeuvre.
"C’est pourquoi les jeunes gens, qui sont en tout des débutants, ne sont pas encore capable de l’amour; il doivent l’apprendre." Sa vision de l’amour au cours des lettres est très intéressante. On dirait dans ses propos qu’il faut mériter l’amour et le manier comme on manie des vers. Ainsi au début il dit à Kappus de ne pas commencer par des poèmes d’amour mais de se tourner plutôt vers des éléments naturels car il est dur de trouver sa voix dans le chemin de l’amour que tous les grands esprits ont marqués.
"Il faut apprendre à mourir : voilà toute la vie." Cette pensée est assez répandue dans le milieu des philosophes où il est dit que lorsque l’on sera prêt à mourir alors on pourra vivre.
"L’homme et [la femme] ont, dans les cultures du Nord, un but commun qui dépasse la séparation des sexes, le but de devenir en quelque sorte, dans le sens le plus large, des êtres humains."
"Je crois que si cet amour reste à ce point fort et puissant dans votre souvenir, c’est qu’il fut votre première solitude profonde, et le premier travail intérieur que vous ayez effectué en votre vie." Ce qui est beau dans cette phrase c’est qu’elle n’a pas besoin de mot pour être expliqué, ou on a vécu ce dont il parle et on comprend directement, ou il faut attendre de le vivre…
"Le "nouveau", en advenant, trouble la différence entre le propre et l’étranger, et unit l’intime et le plus lointain."
"L’avenir est fixe, cher Monsieur Kappus, et c’est nous qui nous mouvons dans l’espace infini." Je trouve ici très beau le rapprochement avec l’astronomie car Rilke me rapelle ici Copernic qui nia le système géocentrique pour affirmer celui héliocentrique.
"L’art aussi n’est qu’une autre façon de vivre…" Cela me rapelle la question que je m’étais posée dans un poème : "Coeur, écrit-on pour vivre, ou vit-on pour écrire ?"
"Rainer, le soir tombe, je t’aime. Un train hurle." Cette phrase est de Marina Tsvétaïéva, une des correspondantes de Rilke. Elle n’a pas vraiment de rapport avec la littérature mais j’adore juste la métaphore entre le coeur et le train. C’est simple et poignant.
"Hélas pour dire tout, il faudrait savoir toutes les langues." Ces mots sont de Joyce et décrivent en partie la raison pour laquelle Rainer c’est tourné vers le français à la fin de sa vie.
"Et ta simplicité supprime un Ange." Rilke dans ses poèmes français écrivait parfois des vers entre parenthèses comme celui-ci qui, par son côté surnaturel me fascine.
"et le lit (table évanouie)" C’est encore un des vers de Rainer Maria où je trouve la comparaison comique, lui qui si souvent semble rester sérieux.
En conclusion je voudrais juste vous montrer un poème entier de Rilke qui à mon avis clôt magnifiquement cet article et son livre :
"Beau papillon près du sol,
à l’attentive nature
montrant les enluminures
de son livre de vol.
Un autre se ferme au bord
de la fleur qu’on respire – :
ce n’est pas le moment de lire.
Et tant d’autres encor,
De menus bleus, s’éparpillent,
flottants et voletants,
comme de bleues brindilles
d’une lettre d’amour au vent,
d’une lettre déchirée
qu’on était en train de faire
pendant que le destinataire
hésitait à l’entrée.
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