26th
décembre
2013
Concerto pour un Coquelicot
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Salut !
En ces fêtes de fin d’année je tenais à vous souhaiter un Joyeux Noël. Sous la demande de Jacky je vous présente aujourd’hui une sorte de conte écrit en octobre. Cela m’a pris un matin lorsque j’avais envie d’écrire, j’ai commencé sans savoir où cette histoire me mènerait vraiment, ce qui est très rare chez moi ! J’ai écrit ce texte sur l’air de la musique du film Origine.
Bye et bonne lecture.
Concerto pour un coquelicot
Sur un air de Mozart le monde s’était éveillé. Il avait entrouvert les paupières et, à moitié ébloui par le jour, sur la toile noire de ses pupilles, des notes avaient éclos. Ses yeux refermés les avaient regarder s’éteindre lentement comme se dissipe sur la peau le flamboiement du fer chauffé à blanc. Lorsque les rideaux avaient été tirés, doucement, son visage s’était un peu crispé afin de laisser à ses yeux le temps de s’accoutumer à la lumière. Il aimait cette heure du matin où seule la nature s’activait. Au premier coup d’œil, par un jour sans vent l’immobilité semblait totale et le monde muet. La fraîcheur du matin se glissait alors par la fenêtre ouverte avant de s’insinuer sous ses vêtements telle une main qui éveille le désir. D’une profonde inspiration il se donnait à elle, avec passion, et la laissait pénétrer chaque parcelle de son corps. Tous les jours elle lui redonnait vie, goutte d’eau qui ranime une fleur évanouie.
Accoudé ensuite au rebord de la fenêtre, écoutant la nature, cette dernière avait le temps de s’habituer à sa présence. Ils étaient de ces amants qui, après avoir étanché leur désir s’allongent l’un à côté de l’autre sans mot dire, écoutant juste leur respiration se répondre. Dans le souffle humide du matin résonnaient les souvenirs de la rosée et rien qu’à voir l’horizon rougir sous son regard il savait que le Soleil venait de s’éveiller il y a peu de temps. Toutefois il fallait que le vent soulève soudain la jupe des arbres, fragile dentelle d’automne, pour qu’une flamme s’allume au fond de ses yeux. Dans le simple bruissement des feuilles, murmure de la nature ou soupir contenu, sa violence maîtrisée et sa soif de vie étaient perceptibles tandis que, dans le noir de ses pupilles le vent tournoyait, passait d’un arbre à un autre en gouttant le plaisir de la vitesse et d’un coup l’effleurait, chant de liberté. Sa résistance à terre, la porte de chez lui claquait alors et ses pieds nus dévalaient la cage d’escaliers.
Les marches froides qui s’enroulent sur elles mêmes.
Un piano.
Sa respiration qui s’accélère, résonne entre les murs.
Le violon s’éveille.
Derrière la porte de l’immeuble, le chant d’un oiseau.
Une flûte lui répond.
Ses pieds nus sur l’herbe humide de rosée.
Et dans sa tête un air de Mozart.
Il se déplaçait toujours avec grâce, sans bruit superflu, comme si quelqu’un l’observait.
L’écoutait.
Son regard était étrange, perçant comme les griffes du tigre et pourtant aussi doux que son pelage. Parfois sa vue se brouillait pour se perdre dans le néant et il semblait que plus rien ne pouvait le ramener parmi les Hommes. En réalité il ne vivait pas tout à fait dans leur monde, percevant différemment les choses qui nous entoure. C’est pourquoi, si on se laissait happer par son regard on pouvait y voir, au milieu des mondes déjà éclos, la lumière d’un bourgeon d’univers. Quelque fois si on l’apercevait au cœur de la foule on avait l’impression qu’il n’y était pas à sa place et que son esprit était ailleurs, en équilibre entre deux mondes. Alors, comme le pont joint deux terres qu’une rivière a séparées, il s’était construit une passerelle entre les univers puis se l’était appropriée, invisible aux yeux de tous, immuable. L’essence de la vie.
C’était la respiration du nouveau né et la course du loup ; le chant du vent et le balbutiement du ruisseau ; c’était l’éclair dans la nuit et la pluie tambourinant sur les vitres.
Son nom était Musique.
Dans le salon trônait un piano, adossé contre un mur dans un angle, comme un enfant qui, dans une réunion d’adulte, tenterait de se faire oublier. La pièce avait beau être lourdement décorée, chargée d’objets de décoration et de peintures, il attirait directement l’attention. Pour certains c’était parce qu’il détonnait dans l’ensemble, d’autres mettaient en cause la noirceur de son revêtement, trop dure pour le regard. Néanmoins on sentait bien au fond que là n’était pas la raison. Peu de personnes osaient l’approcher et encore moins le toucher, non pas que cet instrument éveilla la peur ou le dégoût mais plutôt un respect mêlé de gêne. Il dégageait une aura invisible qui venait chercher notre âme pour lui murmurer à l’oreille des paroles de vérité. Cependant sans l’aide d’un interprète nul ne les comprenait et ne subsistait dans les cœurs que le sentiment étrange que quelque chose d’important se jouait autre part. Un seul être pouvait détourner l’attention du piano. Dès son entrée dans la pièce c’était comme si un lien s’établissait entre lui et l’instrument. Ce lien, bien qu’invisible, était perceptible de tous et au fond d’eux car jamais ils n’auraient osé le dire aussi clairement, certains n’en ayant pas vraiment conscience une voix murmurait que le nouveau venu n’avait pour le piano aucune gêne mais qu’il y avait entre eux une relation d’égalité et, presque, de mutuelle affection. Toutefois, pour que les gens sentent que leur questions allaient enfin trouver des réponses, il devait s’asseoir en face de lui, ses doigts effleurant sa surface lisse et noire. S’ils avaient du respect pour le piano, leurs sentiments envers l’interprète étaient plus mitigés : mélange de peur et d’envie inavouée.
Il y a des vérités que l’Homme ne voudrait jamais entendre mais qu’il guette comme la bouche entrouverte attend la goutte d’eau dont le contact aura la douceur du baiser mais qui ne fera qu’attiser la soif et l’envie, insatiable désir.
La vérité n’embrasse pas. Elle mord.
Son amour envers la musique était de celui que l’on porte aux femmes : elle faisait parti de lui mais jamais ne lui appartiendrait. Ce n’était pas sa volonté. Sa sauvage liberté, malgré sa façon de se donner laissait toujours intact son mystère et nourrissait sa passion. Une image dans un miroir ne satisfait que la curiosité des yeux. Parfois on aurait presque pu la voir danser dans son regard tant ils étaient proches. Puis un jour elle disparaissait, entraînant dans son sillage quelques gouttes de pluie au goût salées. Ou peut être était-ce par ses larmes qu’elle le quittait.
Face au piano, ne s’asseyant jamais au milieu du siège mais toujours à une de ses extrémités, l’inspiration avait alors la place de s’asseoir à ses côtés. Il composait seul, dans l’intimité, tel la rose pousse en silence sous le couvert de la végétation avant d’oser se présenter à la vue du Soleil. On aurait dit un de ces peintres qui testent sur l’aube leurs couleurs protégés du sommeil de la nature avant de trouver le bleu de l’azur. Parfois c’était comme si les notes venaient d’elles mêmes. Fermant les yeux, ses doigts trouvaient seuls le chemin des touches. Cela partait souvent d’une caresse, d’un effleurement ; éveil d’un piano et du désir d’une femme. Il écoutait chaque note et ajustait ses accords comme on écoute la respiration de l’autre pour percer l’indicible avant de faire glisser ses mains le long de ses hanches.
A chaque accord correspondait une émotion que les notes s’amusaient ensuite à moduler, virgule entre deux mots qui les sépare et les éclaire. Peu de personnes le virent un jour composer mais toutes, si elles firent bien attention, s’entendirent sur une chose : il ne composait pas la musique, il la vivait. Imperceptiblement son corps entier se déplaçait au rythme des notes comme le sable se meut au rythme des marrées.
Comme on se mort les lèvres pour étouffer les soupirs.
Puis un jour ce fut la tempête. C’était un de ces matins que l’on n’oublie jamais. Le monde à travers la fenêtre était flou, déformé par la pluie ruisselant à sa surface et la nature semblait ne jamais vouloir s’éveiller. Il pleuvait tant qu’on ne l’entendait même plus respirer. Alors comme pour combler le silence, il s’était assis en face du piano et avait fermé les yeux afin de laisser le monde alentour le pénétrer. Cependant pas un son n’avait émergé de la pénombre. Était-ce son cœur qui soudain s’était accéléré ou la pluie qui avait redoublé ? Tout se trouble dans ma mémoire. Je revois les émotions le submerger et les notes déferler dans son esprit. D’où venaient-elles ?
C’était la tempête. Le vent soulevait les feuilles d’automne et venait s’écraser contre les arbres. La terre mugissait et les branches ployaient. Les notes avaient cessées de le guider. Devait-il conter la colère du vent ou la peur de l’arbre ? Les ténèbres des nuages ou la danse des lanternes ? Son corps tremblait et était pris d’un mouvement de bascule tandis que ses mains avaient trouvé refuge entre ses cuisses. Soudain la diversité des notes auquel se mêlait une infinité d’accords le frappa comme autant de gouttes de pluie. Et ce fut le vide. Un trou béant aspirant les certitudes et la confiance : Ses yeux couraient de la droite vers la gauche et de la gauche vers la droite, sautaient d’un nuage pour tomber dans la nuit puis glissait vers ses mains immobiles.
Mozart s’était tu et pleurait.
S’étant doucement levé, petite note que l’on aurait griffonné, il était sorti dans la tempête et avait attendu, assourdi par le bruit du vent, que le calme ne revienne. Tout semblait si lourd, gorgé de l’eau de pluie. Si lourd dans sa poitrine.
C’est alors qu’il la vit, coincée entre deux dalles de béton au milieu de la chaussée. Un coquelicot. Une de ses pétales était tombée au sol et son corps, si voûté, semblait tenter de la ramasser.
Jamais ils n’auraient dû être là. Ses cheveux collés contre son visage gouttaient sur ses épaules et ses mains étaient glacées. La fleur, sous son regard était belle, seule au milieu de ce monde gris. L’interprète s’accroupit à ses côtés. Combien d’épreuves auraitelle encore à subir ? Combien de tempêtes et de pieds qui la fouleront ? Il aurait voulu lui parler mais quelque chose l’en empêchait : une mélodie, aussi faible que les souvenirs d’un rêve. En se levant le vide au fond de son cœur disparu, comblé par une petite fleur et la certitude des notes à venir : Celles de la différence.
Il allait composer pour un coquelicot, pour toutes les pétales tombées au sol et les espoirs envolés ; pour un bourgeon éclos dans le berceau de l’erreur et des millions de cœurs égarés.
Pour qu’un jour, à la vue d’une fleur quelqu’un sache qu’il n’est pas seul.
Alors Mozart reviendrait.
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on Jeudi, décembre 26th, 2013 at 22 h 11 min and is filed under Contes.
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