Salut !
Ce week end, comme je vous l’avais dit la semaine dernière, je suis partie à Paris. C’était merveilleux, j’ai l’impression d’avoir vécu une semaine entière au lieu de deux jours. Samedi à l’UNESCO j’ai participé à un débat sur "Résister et militer" et surtout j’ai vu et entendu Stéphane Hessel, (âgé de 91 ans !) qui a tenu un discours a l’assemblée des jeunes des clubs de l’UNESCO.
Dans le groupe l’ambiance était fantastique, alors je vous dit pas les fous rires dans le train couchette quand on était six. Malgré notre emploi-du-temps très chargé on a quand même visité la tour Eiffel et Notre-Dame-de-Paris et le retour a été rude.
Enfin bon, aujourd’hui je vous propose un conte que j’ai écrit durant les vacances de la Toussaint et que je viens de terminer de corriger après l’avoir montrer à ma prof de français.
J’espère qu’il vous plaira et n’hésitez pas à critiquer.
Bye et bonne lecture.
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La tisseuse et la forgeron
Il était une fois, au milieu d’une immense forêt, un petit village dont le nom s’est perdu dans les âges.
Il était situé sur un surplomb découvert, si différent du reste du paysage, où fourmillait une multitude de petites maisons en chaume. Toutes avaient un jardin où poussaient des légumes et une magnifique allée de fleurs resplendissant de mille couleurs devant le portail.
Evidemment presque tous les villageois se connaissaient et beaucoup de familles n’en formaient en réalité qu’une.
En apparence ce village semblait ordinaire et ne méritait pas que l’on conta son histoire. Pourtant il était unique : il avait une tisseuse.
La tisseuse était une vieille femme au teint blanchâtre et aux traits creusés que tous nommaient « Mère ».
Elle habitait sur la place du marché et lorsqu’elle sortait de chez elle c’était le dos voûté, ses cheveux gris masquant son visage et un panier au bras pour faire ses courses.
La tisseuse était la doyenne ainsi que la matriarche du village et tous la respectaient. Les sages racontaient qu’elle avait quatre cents ans mais nul n’en était vraiment sûr car jamais elle n’avait révélé son âge et aussi loin que les villageois s’en souvenaient ils l’avaient toujours connue une canne à la main et le visage marqué par le temps.
Parfois de jeunes couples venaient toquer à sa porte. Elle les faisait entrer et ils lui tenaient ces propos : « Mère, nous voudrions un enfant. »
Alors la vielle femme souriait de ce sourire qui sait tout et elle prenait leurs mains dans les siennes. Il lui arrivait quelques fois de rester ainsi des heures paumes contre paumes à écouter leur coeur qui sonnait sans cesse les cloches de la vie.
Lorsqu’elle en avait fini ses doigts venaient de nouveau se nouer derrière son dos et elle les congédiait.
On l’appelait la tisseuse de vie car le lendemain matin, au moment même où naissait le soleil, les rues du village s’emplissaient du cri perçant d’un nouveau-né et les heureux parents sortaient de chez eux en courant pour rejoindre leur enfant qui dormait désormais paisiblement dans les bras de la vielle femme.
Nul ne savait comment elle s’y prenait mais ils étaient habitués à côtoyer cette magie divine et ne s’en étonnaient pas car ils étaient tous nés dans la petite fabrique de vie de la tisseuse.
Cependant les compétences de la matriarche ne s’arrêtaient pas là car elle pouvait aussi soigner les blessures et guérir les maux.
Souvent elle voyait accourir dans sa demeure une foule d’habitants inquiets qui portaient leur confrère blessé.
La vielle femme ordonnait alors qu’on l’allonge sur le lit. Elle s’asseyait ensuite à ses côtés et sous le regard émerveillé de tous, ses petits doigts agiles commençaient à tourner autour de la plaie. Au début rien ne se passait mais petit à petit, sans que l’oeil ne s’en rende compte, la blessure rapetissait jusqu’à disparaître complètement, comme si la peau avait été recousue.
Jours après jours le temps passait et jours après jours la tisseuse se faisait de plus en plus vieille. Elle décida alors de chercher un disciple à qui elle pourrait transmettre ses connaissances. Pour se faire elle demanda à ce que tous les volontaires se présentent à elle sur la place du marché à minuit le jour de la nouvelle lune.
C’est ainsi qu’à la date prévue une foule d’habitants vinrent entourer le bassin où était assise en tailleur la vielle femme.
Il y avait là des personnes de tout sexe et de tout âge qui n’attendaient plus que la doyenne prenne la parole.
Plusieurs minutes s’écoulèrent dans le silence le plus complet jusqu’à ce qu’un enfant, probablement le plus jeune, ne s’exclama impatient :
« Mais pourquoi Mère nous avez-vous fait convier en ce lieu en pleine nuit alors que nous avons froid et que nous n’y voyons rien ? »
Si toute la foule se tourna vers lui, la tisseuse, elle, ne bougea pas mais répondit dans un murmure :
« Mons fils, sache que la nuit est de loin la meilleure conseillère, que c’est dans l’ombre la plus totale que brille le plus la vérité et qu’avant d’essayer de connaître en plein jour les hommes et les femmes que vous êtes, il faut savoir reconnaître dans l’obscurité les animaux que nous sommes. C’est la nuit que nous révélons notre vraie nature. »
La tisseuse les aligna ensuite en deux colonnes et les fit se pencher au dessus du bassin. Chaque fois elle leur demandait : « Que vois-tu ? » et chaque fois les villageois répondaient: « Mon visage. ». Alors elle leur posait la question suivante : « N’y a-t-il rien d’anormal ? ». Et tous niaient.
Ainsi chaque personne passa au dessus du visage de l’eau et chaque fois la tisseuse les renvoya chez eux.
« Tu es aveugle. » disait-elle.
Lorsqu’il ne resta plus qu’une personne celle ci s’avança vers le bassin et s’arrêta devant la matriarche : « Bonsoir Mère. »
C’était un nain boiteux à la face déformé. Il parlait lentement comme si cela lui était difficile.
« Allez-vous en, vous n’êtes pas mon fils. » déclara la vieille femme.
Le petit homme la fixa un instant et elle soutint son regard.
« Votre vision s’est obscurcie Mère.
- Mais je peux encore voir votre visage. »
Alors le nain se détourna et repartit dans le noir.
Les années passèrent, les enfants grandirent et les adultes vieillirent. La tisseuse se choisit un disciple et commença à lui enseigner son métier. L’apprenti n’était pas vraiment doué pourtant il s’intéressait.
La doyenne disait qu’à force d’entrainement il devrait arriver à soigner mais que jamais il ne donnerait la vie : il était aveugle.
Cependant le temps ne passe pas sans laisser de traces et parfois la poussière soulevée par son passage nous ensevelit plus vite que nous le croyons.
Un jour que la tisseuse soignait un malade, ses mains se mirent à trembler et elle blessa le villageois, ouvrant sur sa peau une plaie.
Pour cet homme brulant de fièvre la vie ne tenait plus qu’à un fil et la tisseuse coupa le fil.
A la suite de cet événement tragique la vieille femme délégua ses fonctions de matriarche à son disciple et se cloîtra chez elle. Telle fut la phrase qu’elle prononça avant de refermer la porte de sa demeure devant une foule impuissante : « Vouloir aller trop loin c’est reculer. »
Les jours qui suivirent la retraite de la doyenne les habitants tentèrent d’agir normalement et de ne rien laisser paraître de leur anxiété. Tous comptaient respecter la décision de la tisseuse et les villageois allaient et venaient donc dans la maison du disciple, demandant conseils et soins. Mais derrière cette façade chacun se lançait des regards inquiets et une lourde atmosphère planait comme si le village était un deuil.
En réalité, toutes les bouches n’aspiraient qu’à poser une question : « Comment vont naître nos enfants ? »
Néanmoins nul ne la formula car cela aurait été reconnaître la situation critique dans laquelle ils se trouvaient et ils tentaient tant bien que mal de garder leur sang froid. C’est ainsi que s’écoula le premier mois et nul ne vint déranger la tranquillité de la vieille femme.
Mais au bout du trente-deuxième jour d’absence survint ce que tous redoutaient en silence : la preuve.
Dans la nuit, éclairé par l’unique scintillement des larmes de ses parents mourut le premier enfant.
Alors des cris de tristesse et de peur emplirent le village surpassant ceux des mourants et le lendemain le disciple tombait malade.
C’était le début de l’épidémie la plus meurtrière de l’Histoire et la plus contagieuse car elle se transmettait par le simple regard. Elle portait à cette époque le nom de désespoir.
Les villageois comprirent par la suite que c’était de cette maladie dont était victime la tisseuse de vie et qu’elle se répendait plus vite que nul ne l’eut imaginé.
Quelques jours plus tard la folie gagna les habitants affaiblis et ils se mirent à courir dans les rues en hurlant que la mort était proche. Certains fuirent avec leur famille dans la forêt et la plupart vinrent devant la porte de la matriarche supplier son aide à genoux mais elle répondit seulement :
« Partez. Cette maladie est inconnue et jamais je n’ai appris à la guérir. »
Ce fut alors pour le village la fin de tout espoir et les habitants se cloisonnèrent chez eux pour attendre patiemment la délivrance.
Pourtant, alors que le village avait sombré dans le silence et dans l’immobilité, si l’on tendait bien l’oreille il résonnait dans les sombres ruelles un bruit.
Au loin dans un petit atelier en bordure de la forêt travaillait un forgeron et l’éclat de son fer illuminait d’espoir le frêle entrepôt tandis que son marteau frappait le mortel ennemi.
Une semaine passa, puis deux, et à l’aube de la troisième alors que les habitants avaient renoncé à sortir de chez eux pour se nourrir; il apparut au milieu de la place un nain.
Quelques têtes étonnées sortirent par les fenêtres et même des enfants se risquèrent à l’extérieur pour s’approcher timidement de l’étrange homme boiteux dont le sourire éclairait son visage déformé.
Ce dernier s’avança vers la maison de la tisseuse de vie accompagné désormais d’une foule d’habitants curieux. Arrivé devant la petite porte il s’arrêta et toqua. Le village retint sa respiration.
« Qui est là ? » demanda une voix fébrile à l’intérieur de la demeure.
« Je suis le forgeron d’espoir et je viens, Mère, vous remettre vos armes. »
Le nain s’accroupit alors et il glissa sous la porte deux baguettes à tisser qui resplendissaient sous les rayons du Soleil levant.
De nombreuses minutes s’écoulèrent dans ce calme pesant avant que la poignée ne s’abaissa laissant entrevoir le visage fripée mais rayonnant de vie de la tisseuse.
« Mes enfants, veuillez je l’espère pardonner la vieille femme que je suis de l’élan de peur et de doute qui m’a il y a plusieurs mois assailli me faisant prisonnière de mes propres craintes.
Mais ne vous inquiétez pas que je suis guérie et je vais de ce pas réparer ma négligence. »
Alors pour la première fois les villageois connurent la lumière, la vrai, non cette froide et lointaine chaleur que leur procurait le Soleil.
La vieille femme ouvrit grands les bras et sous la clarté magique de la vie et de l’espoir elle se mit à briller de mille feux révélant à tous la jeune fille qu’elle avait été autrefois.
Et lorsque la luminosité atteignit son apogée et qu’elle devint aveuglante une vague de chaleur déferla sur la foule, consumant les douleurs et emportant les larmes sur son sillage.
Pour la première fois les villageois connurent le jour.
Dans la nuit qui suivit la guérison tous les habitants dormirent l’esprit léger et nul n’entendit la porte grincer. Seules les étoiles virent la matriarche sortir de chez elle et s’avancer silencieusement à travers les ruelles.
La tisseuse de vie savait où elle allait et elle ne s’arrêta que lorsqu’elle fut arrivée à l’orée du bois sur le seuil d’une forge endormie.
Alors la nuit qui voit tout vit dans le coeur de la vieille femme et elle sut.
Dans l’ombre d’une petite maison elle assista de nouveau à la naissance d’un enfant s’étant déroulée des dizaines d’années auparavant.
Elle vit la doyenne prendre dans ses mains l’obscurité et lui tisser de ses doigts agiles un manteau de lumière.
Mais surtout, ce que la nuit vit et ce que la nuit retint fut le visage de l’enfant.
Sur un être pas plus grand qu’une paume de main avait été gravée la laideur du monde. Sa bouche était déformée, son nez aplati et sa peau couverte de taches noires.
Si la nuit se laissa attendrir par cet enfant que bientôt son voile noir devrait dissimuler au regard des autres, la tisseuse fut effrayée du monstre qu’elle avait créé et l’enroula dans des draps blancs avant de sortir et de donner cette créature à la nuit en prononçant ces paroles :
« Toi qui vois et toi qui sais, cet enfant est l’incarnation du mal. Prends le et fais-en ce que tu voudras. »
Alors elle le déposa à l’angle d’une ruelle puis partit.
Mais la matriarche avait oublié que la nuit était sourde et que ce discours était bien futile car dès la naissance de l’enfant l’ennemi du jour avait vu s’emplir de larmes et de culpabilité le coeur de la vieille femme. C’est pourquoi, avant que la tisseuse ne l’eut demandé, la nuit avait déjà promit en silence de s’occuper du petit.
Désormais que la doyenne était revenue à l’endroit précis où elle avait abandonné le bébé, la nuit s’étonna des quelques coups que la porte de la forge reçut.
Un nain boiteux vint ouvrir, celui là même qui était apparu sur la place du marché quelques heures auparavant.
Son visage restait de glace et la tisseuse prit alors la parole :
« Vous nous avez sauvé moi et le village alors que jamais nous vous avions aidé. Et tandis que tous avaient perdu espoir vous n’avez pas baissé les bras. Pourquoi ? »
Le petit homme la regarda puis sourit :
« J’espérais au fond de moi qu’un jour je puisse devenir votre disciple et que vous puissiez me guérir du mal qui me ronge. »
La vieille femme acquiesça :
« Si tel est votre souhait alors il sera exhaussé. »
C’est ainsi que la tisseuse de vie prit la main du nain dans la sienne et alla raccommoder en son sein le filament d’existence détruit.
Alors il apparut devant la matriarche étonné le plus bel homme qui soit et elle comprit qu’elle avait sans le vouloir relié le fil de la beauté du corps, auparavant détaché de la toile de vie, au fil de la beauté du coeur.
Une heure à peine après la miraculeuse transformation du forgeron ce dernier et la tisseuse étaient assis sur le bord du bassin situé au centre du village.
« Vous m’avez dit que vous vouliez devenir mon disciple, soit. Mais il faut avant toute chose que vous passiez une épreuve. »
C’était une nuit sans lune et nul vent n’agitait la surface tranquille du bassin. Le temps semblait figé et seul l’imperceptible mouvement de tête de l’homme démontrait le contraire.
« Penchez-vous au dessus du visage de l’eau. »
Le forgeron s’exécuta.
« Que voyez-vous ?
-Rien. »
Un léger sourire apparut dans l’obscurité :
« C’est à dire ? »
L’homme réfléchit un moment avant de répondre avec précision :
« Je ne vois qu’un halo de lumière, le reste m’est invisible. Pourquoi ? »
Dans les rues pas une lanterne ne brillait, pas une lampe ne scintillait, c’était le noir.
La tisseuse se pencha elle aussi au dessus du bassin, posa sa main sur l’épaule du forgeron et déclara: « Félicitation, vous voyez la vie. J’ai l’honneur de vous nommer disciple de la tisseuse de vie…mon fils. »
Des dizaines d’hommes et de femmes s’étaient un jour penchés au dessus du bassin mais tous n’avaient vu que leur visage, obnubilés par leur simple personne.
Cependant le forgeron d’espoir était différent et pour lui la vie que reflétait le miroir de l’eau ne s’arrêtait pas à un simple visage, car être différent c’est voir la vie différemment.
Cet homme que tous repoussaient n’était munis ni de beauté ni d’argent et n’avait qu’une petite forge pour vivre. Pourtant de tous c’était le plus riche : il possédait l’espoir.
S’il existait deux mains, l’une nommée Espoir et l’autre Vie, seules elles seraient infirmes car elles ne pourraient à la fois tenir et agir.
Pour concevoir elles doivent être deux.