Voici la suite du conte dont je vous ai présenté le début il y a deux semaines.
Bye et bonne lecture.
Quand brillera l’obscurité (2/3)
Plusieurs jours s’écoulèrent, tous semblables les uns aux autres ; quelques étoiles qui s’éteignent dans l’immensité.
Pendant tout ce temps Lanterne cherchait dans son esprit un moyen d’aider la nuit mais sa longue réflexion ne le mena finalement qu’à la conclusion qu’à travers la peur du noir c’était la peur d’elle même qui tourmentait Nuit :
«Tu as peur de toi, Nuit. Tu as peur parce que tu ne contrôles plus rien, que tu n’es même plus maître de ta propre personne, que tu trembles sans pouvoir t’en empêcher, que les étoiles clignotent et que tous grelotent de froid. Tu as peur de toi parce que tu crois que tout ce qui arrive est de ta faute. Tu…»
L’enfant venait de penser à voix haute, en plein jour et soudain il s’était tu. Quelques personnes, intriguées, s’étaient arrêtées. Ils le regardaient en fronçant les sourcils, en jetant à la dérobée des regards lourds de sens : «Il est fou.» y lisait le dos-au-mur ; «le pauvre il divague complètement…». Le garçon ferma les yeux et baissa la tête. Nuit n’était pas là, il était midi, et pourtant, autour de Lanterne, le monde tremblait ; il vacillait car quelque chose était apparu au fond de ses yeux, bien pire que la peur…juste de la douleur.
Ce même jour, un peu plus tard lorsque le Soleil fut couché, Nuit s’adressa à l’enfant :
«Je t’ai montré mon cœur et je t’ai révélé mes frayeurs ; à ton tour maintenant de te dévoiler.»
Le silence souvent n’est qu’apparence, car c’est sans bruit que les cœurs crient. Ce soir seule la nuit pouvait entendre Lanterne pleurer.
«Tu ne connais camarade que l’obscurité ; tu ignores tout du jour. La pénombre est reposante pour les yeux et douce pour le cœur tandis que la lumière, elle, aveugle, elle agresse, elle nous brandit à la face du monde pour que tous ricanent. Tu as peur du noir, je le comprends ; mais peux-tu concevoir que je redoute le jour, ce moment où les ombres apparaissent, nous séparent et nous rendent inégaux. L’ombre de ceux assis par terre est toujours plus petite que celles de ceux les observant, les dominant, les jugeant.»
Nuit avait écouté, elle avait écouté mais elle n’avait rien pu dire, rien pu faire.
Soudain dans la nuit une étoile filante traversa le ciel, s’alluma, brilla puis mourut…
«Nuit, tu pleures ?»
Il est dur parfois d’être impuissant.
Dans les jours qui suivirent personne ne parla mais ils se cherchaient, se guettaient d’autant plus ; un sourire, un clin d’œil et un peu de lumière, c’est tout ce dont ils avaient besoin pour avoir l’impression de ne plus être seuls mais de partager une part d’eux-mêmes avec quelqu’un.
Pourtant un soir, peu après le crépuscule, Nuit chuchota gênée :
«Je peux te parler ?»
L’enfant sourit : «Bien sûr.»
La nuit attendit un moment, comme si elle hésitait à prendre la parole une nouvelle fois puis murmura :
«Il y a encore eu un meurtre très tôt ce soir, j’ai tout vu. C’était une embuscade et la haine ruisselait tout autour comme le sang sur la lame.»
Cette nuit dans le ciel il y avait des nuages.
«Nuit, pourquoi te caches-tu ?
- Je ne me cache pas…
- Alors explique-moi ce voile devant tes yeux.»
Mais comme Nuit ne répondait pas Lanterne poursuivit :
«Je ne vois plus les étoiles.
- Quelle importance, elles sont tellement petites !»
L’enfant se tut un moment puis demanda :
«Sais-tu pourquoi je n’ai pas peur du noir ?
- Non, répondit Nuit après une courte réflexion.
- Parce qu’au lieu de voir l’obscurité, j’essaie de ne percevoir que l’éclat des étoiles.»
Un silence. Une inspiration.
«Je peux t’aider, Nuit ; je peux t’apprendre à voir la lumière dans l’obscurité. J’ai beaucoup réfléchi et je pense que j’en suis capable…mais pour cela je te demanderai d’ôter ton masque.»
Alors une trouée apparue entre les nuages et le garçon put voir scintiller deux petites étoiles ; deux yeux qui brillaient d’espoir.
Lanterne se leva, confiant, sûr de lui-même, et tandis qu’il parlait son regard se posait tout à tour sur la brise, les animaux nocturnes et les étoiles car ce soir, plus qu’à un esprit, l’enfant s’adressait à un corps, un cœur et à une âme :
«Tu voudrais, Nuit, voir briller de nouveau Lautre dans le ciel pour qu’elle t’illumine, te rassure et te prouve la bonté de l’Humanité ? Sache qu’elle n’a jamais cessé de rayonner.»
Nuit eut l’air sceptique : «Pourquoi me donnes-tu une lueur d’espoir alors que j’ai vu Lautre exploser et mourir de mes propres yeux. Sais-tu combien il est douloureux d’espérer en vain ?»
L’enfant bomba le torse, fier de lui-même pour la première fois :
«J’ai déjà vu des personnes courir, rire ou sourire mais jamais je n’ai vu quelqu’un mourir.
Mourir n’est pas une action que l’on réalise ; c’est simplement lorsque l’on cesse de vivre, lorsque l’on cesse de courir, de rire et de sourire.
- Peut-être ; mais j’ai vu Lautre exploser et toute chose qui explose meurt…
- Non, coupa l’enfant, toute chose qui explose se brise, se déchire, se fragmente mais ne meurt pas. Si tu souffles sur une fragile rose, les pétales se détacheront pour s’envoler, emportées par le vent. C’est un peu comme si la rose aurait explosé ; mais elle ne serait pas pour autant morte car il subsisterait en de nombreux endroits une part d’elle même. Quand Lautre a explosé elle ne s’est pas éteinte ; des fragments de sa lumière se sont simplement éparpillés aux quatre coins du ciel. Si ton rêve d’union, de paix et de fraternité s’est dissous, les acteurs n’en sont pas moins présents et vivants. Regarde le ciel Nuit, Lautre a disparu mais quelque chose d’autre n’est-il pas apparu ?»
Deux yeux invisibles s’étaient tournés vers l’immensité :
«L’obscurité.
- Non, cela c’est ce que tu veux voir.»
La nuit étudia le ciel méthodiquement. Il y a avait tout d’abord la Lune dont le puissant éclat attirait directement son regard ; puis l’obscurité, dense, effrayante, cette obscurité qui n’en finissait pas…
Nuit faillit réitérer sa première réponse et se détourner des ténèbres lorsque soudain quelque chose la surprit : un point de lumière. Cette vision fut comme un bref éclair, précédé et suivi par la pénombre. Mais cette fois-ci la nuit ne s’attarda pas à regarder l’obscurité et son regard courut très vite jusqu’au prochain point lumineux.
«Les étoiles.»
L’enfant esquissa un croissant de Lune.
«Chaque astre que nous voyons est le reflet du rêve d’une personne, un rêve égoïste et solitaire mais un rêve toutefois. Ces étoiles sont moins brillantes que Lautre mais elles existent tout de même. Si tu veux reconstituer ce satellite brisé prend le temps de regarder chaque étoile, de comprendre son rêve, et de le partager. Le ciel il est sûr restera semblable à aujourd’hui mais dans ton cœur les rêves de millions d’autres rayonneront. On se sent toujours plus fort quand on partage notre rêve avec quelqu’un d’autre…»
Une petite brise, légère comme un soupir, effleura le visage de l’enfant.
«Cependant cela n’efface pas l’obscurité. Elle reste, elle persiste ; j’ai l’impression de marcher les yeux fermés avec la peur constante de tomber et de me blesser.
Ne suis-je donc condamné qu’à sauter d’étoile en étoile en attendant de me tromper, de vaciller et de chuter dans l’obscurité ?
- Non ! » Lanterne ne parlait pas fort, c’est à peine s’il chuchotait, si ses lèvres remuaient. Ce soir seul son cœur criait, il hurlait à la nuit comme un loup pris de folie. Nulle oreille ne l’entendait, nulle tête ne se leva mais dans la ville tous les cœurs s’éveillèrent…
«Non, je refuse d’être condamné à cette vie. Je refuse d’être condamné à voir passer les gens chaque jour devant moi, je refuse d’être condamné à attendre d’être seul pour pleurer. J’ai refusé d’être condamné à ne jamais entendre quelqu’un me parler avec amitié et c’est pourquoi ce soir, grâce à toi, je peux refuser que tu sois condamné à l’obscurité.»
Nuit s’était arrêtée de respirer, plus un son ne s’élevait dans la pénombre. Tous écoutaient.
«Oublie les meurtres, les larcins, les gémissements ; ferme ton cœur à la noirceur de leurs âmes et ne daigne les regarder que lorsqu’ils auront recouvré un petit peu de clarté. Nuit, je suis dos-au-mur cependant j’ai encore assez de fierté pour ne lever les yeux non pas sur ceux dont le portefeuille en vaut la peine mais sur les rares personnes dont le cœur en vaille la chandelle car, alors, leur regard est empli de plus de lumière que toutes les pièces de leur bourse.
Je t’en prie, ne pose tes beaux yeux sombres que sur les vies qui brillent en silence, sur ces mères qui le soir venu refoulent leur fatigue et leur lassitude pour bercer de nouveau leur progéniture, sur ces pères qui prennent leur plus belle voix pour raconter une histoire, sur ces amis qui ouvrent leur portes aux âmes égarées et savent si bien les consoler, sur ces amants qui s’aiment dans l’impunité, sur ces enfants seuls chez eux qui lisent pour s’enfuir vers quelques idéaux, sur ces louves qui bravent le danger pour nourrir leurs petits, sur ces arbres qui se creusent pour abriter les écureuils, sur chaque être qui se sent seul dans le noir et aspire à sentir sur son visage la douceur de ton regard, de ton sourire…
Chaque étoile, même petite, mérite qu’on lui prête attention. Alors seulement elle pourra grandir et rayonner. Alors seulement l’obscurité pourra s’illuminer.»
Longtemps après le discours de Lanterne la nuit resta pensive à contempler la lumière de chaque être, à comprendre leurs désirs, leurs envies avant de réaliser que leurs rêves aussi pouvaient être beaux et simples, de petites étincelles ravivant le brasier de l’espoir.
«Lanterne quel est ton rêve, ton rêve le plus cher ?
- Avoir un ami, quelqu’un sur qui je puisse compter, un mur qui ne risque pas de s’effondrer.
- Je croyais que c’était d’être prince d’un infini royaume où il n’y aurait plus aucune frontière, plus aucun mur pour séparer les hommes et instaurer des conditions.»
L’enfant acquiesça, le visage grave et empli de mélancolie :
«C’est vrai. Mais désormais je crains de devenir prince et d’être plus seul que je ne le suis aujourd’hui.
Peu m’importe ma condition de dos-au-mur si j’ai un ami.»
La nuit sourit.
«Je partage ton rêve, mon ami.»