Réfugiés de la réalité (2/2)
Salut !
Voici la suite du conte débuté la semaine dernière.
Bye et bonne lecture.
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Réfugiés de la réalité (2/2)
Le jour même de sa rencontre avec l’oiseau l’enfant commença à s’affairer de toute part, rassemblant ficelles, tissus et tiges de fleur.
«Que fais-tu donc ? » demanda son grand-père, intrigué.
Mais son petit fils lui répondit simplement ces trois mots, un sourire sur les lèvres : «Je rêve éveillé…»
Le mystère subsista de nombreux jours mais au bout d’un mois l’ancêtre vit apparaître une corde entre les mains de Grand Rêveur :
«Quelle montagne comptes-tu escalader avec ceci ? Interrogea le grand-père.
- Celle de la réalité.»
Malheureusement Grand Rêveur était encore trop petit pour savoir qu’on ne peut gravir une telle falaise mais seulement s’y échouer.
Un an après la rencontre, jour pour jour, la corde était finie. Elle faisait plus de dix mètres et à l’une des extrémités se dressait une boucle de telle sorte qu’elle ressemblait à un immense lasso.
Au petit matin l’enfant sortit de son abri, la corde sous le bras et se mit à scruter attentivement le ciel, une main en visière pour se protéger du Soleil.
Soudain une ombre noire obscurcit le visage de Grand Rêveur mais ses yeux s’illuminèrent : le Nuage était au rendez-vous.
Ôtant le lasso de son épaule, il se mit à courir derrière la forme blanche tout en faisant tourner la corde au dessus de sa tête avant de la lancer de toutes ses forces en direction du nuage.
Le lasso se referma sur sa victime et commença à entrainer dans sa course l’enfant qui s’agrippait à l’autre extrémité tout en s’élevant progressivement à la force de ses bras au dessus du sol.
«Je ne rêve plus, s’écria Grand Rêveur, je vole ! Je vais enfin pouvoir traverser la Ligne ! »
L’enfant riait de tout son cœur : il vivait son plus beau rêve. En dessous les personnes qu’il survolait, ses amis, sa famille l’applaudissaient. Tous se réjouissaient de cet exploit, tous sauf un.
Grand Rêveur ne le savait pas mais son grand-père l’observait et il s’inquiétait.
Petit à petit, sans que l’enfant ne le remarque, la corde s’enfonçait dans l’épaisseur blanche et, bientôt, il ne resterait plus rien pour le soutenir.
Poussé par le vent, le Nuage se rapprochait de la muraille et de ses pics acérés, entrainant toujours avec lui son passager.
Soudain deux évènements survinrent : l’enfant survola le sommet de la Ligne…et le Nuage se brisa.
En quelques secondes son sourire se métamorphosa en cri de terreur tandis que Grand Rêveur tombait. Il allait s »échouer sur la falaise de la réalité.
«Rêver est un droit universel et immuable, songea l’enfant ; réaliser son rêve ne l’est pas…»
Grand Rêveur ferma les yeux.
Tout à coup, au lieu de se sentir lacérer par le fil barbelé, quelque chose l’agrippa par sa tunique et le souleva.
«Ouvre les yeux petit, ne te réfugies plus dans les rêves, ce serait te voiler la face que de croire que, seul, tout est possible.»
L’enfant obéit au conseil et souleva ses paupières.
Au dessus de lui Libertin planait, portant à bout de serres un rêve renaissant.
«Et je t’en pris, poursuivit l’oiseau ; redescend de ton nuage. »
Grand Rêveur se hissa sur le dos du roi et regarda au sol : ils avaient traversé la Ligne.
«Tu n’as pas peur d’être fusillé ? » demanda l’enfant.
En bas les visages se levaient ahuris, les immeubles alternaient avec les jardins, les villes avec les campagnes ; jamais le cavalier des airs n’avait vu aussi beau paysage : c’était le paradis.
«Pour te dire la vérité : si, j’ai peur. Mais je me dis que si un enfant risque sa vie pour le bonheur de son peuple, alors ce serait un crime que de le laisser mourir tandis qu’il s’est battu pour nous.»
L’enfant tourna la tête et ce qu’il vit le laissa muet.
Des dizaines…non. Des centaines, probablement même des milliers d’oiseaux les entouraient.
«Prince, voici votre armée. Voyez comme la réalité, parfois, peut être belle. »
Mais à terre, déjà, les fusils se chargeaient, prêts à ouvrir le feu.
Cependant, lorsque les hommes et les femmes aperçurent Grand Rêveur, tous baissèrent leur arme et un murmure se répandit dans chaque village et ville que l’armée survolait :
«Un enfant…»
Alors le jeune prince quémanda :
«Libertin, s’il te plaît, faisons demi-tour.
- Pourquoi ? Rétorqua l’oiseau surprit.»
Grand Rêveur marqua alors un temps de silence avant de répondre :
«Traverser la Ligne n’était pas seulement mon rêve mais celui de tout mon peuple et il ne pourra être exhausser que lorsque, tous, nous l’aurons réalisé.»
Obéissant alors le roi et son escorte s’en retournèrent vers la muraille.
«Tu es sage petit ; malgré la haine que tu portes en toi et l’armée dont tu disposes désormais, tu n’as pas songé à ravager le pays.
- Tu te trompes, rectifia l’enfant, j’y ai pensé lorsque je t’ai demandé de faire demi-tour ; j’ai même hésité. Seulement je me suis dit que s’ils n’avaient pas tirés sur nous, c’est qu’il leur restait encore un peu de bonté et que je me devais de la protéger.»
De retour devant la muraille, l’armée des anges plongea vers la porte de marbre interdisant le passage de la Ligne et, dans un même élan de volonté, la brisèrent en milles morceaux.
Grand Rêveur redescendit alors sur terre et, lorsque le nuage de poussière fut retombée, il s’exclama:
«Entrez Réfugiés, le rêve, parfois, rejoint la Réalité ! »
Et lorsque la foule eut franchie la porte, les yeux de l’enfant se reportèrent sur le sol et il sourit : les décombres de la muraille recouvraient la Ligne.
«On ne peut effacer la réalité, murmura Libertin, seulement l’enfouir et l’ensevelir sous quelques rêves…»
«Grand-père, c’est quoi un réfugié de la réalité ?
- C’est un rêveur qui a fuit la réalité d’un monde pour se réfugier dans le rêve d’un autre. Nous sommes tous quelque part des réfugiés de la réalité.»
posted on février 22nd, 2010 at 16 h 35 min
posted on février 26th, 2010 at 9 h 22 min
posted on mars 3rd, 2010 at 7 h 05 min