Lettre ouverte à Oscar Wilde.
Le 15 février 2011
A toi qui jamais ne lira ces mots,
Cet après-midi, isolée des regards, éloignée de la foule, seule dans ma chambre c’est ton âme que je tenais entre mes mains. Elle n’avait pas de visage, sans âge, elle semblait si fragile, fibres que la plume déchire. Cet après-midi l’imagination chevauchait des collines, caressait des plaines et déployait ses ailes vers ton refuge immaculée. L’esprit n’a de frontière que celles que la peur érige, démasquée. Ce soir je ne crains rien à écrire à un étranger.
Au fond que sais-je de toi ? Ce livre n’était-il qu’une fresque de beauté, une illusion, ou la peinture du cœur d’un homme ? J’ai marché des heures il me semble, des années dans les ruelles que forment tes lignes, entourée, encerclée de toute part par les mots, les lettres. La feuille n’est qu’un idéal de pureté que nos idées souillent de leur encre noire. Les pages de ton livre étaient jaunes, ternies peut-être plus par nos péchés de lecteur que par le temps. A chaque coin de rue, à chaque tournant de page, saut de paragraphe j’attendais quelqu’un. Toutefois nul protagoniste ne satisfaisait ma soif ; sous le masque d’Henry, de Basil ou de Dorian c’est ton visage que je recherchais, un message de toi comme si cela aurait pu me guider, me suggérer une émotion encore inconnue. Le lecteur est un chercheur pour qui le sentiment est d’or.
La réalité est-elle si inhumaine pour qu’elle soit blâmée, censurée ? Quel effet cela fait-il d’offrir au regard du monde, à leur jugement, une part de son âme ? Ma plume à quelques millimètres de la feuille, doute de l’esprit ou appréhension de la conscience ; je m’arrête.
A quoi bon poser toutes ces questions ? Si j’étais en face de toi, mes yeux te fixant, y aurait-il eu un de ces blancs, infime tache sur le tableau ?
Les questions devraient être posées à l’esprit et non à l’âme. L’esprit médite, le cœur ressent puis agit tandis que l’âme endosse et lorsqu’elle devient trop lourde à porter la feuille prend le relais avant que la plume ne grave la honte, la peine, toutes ces émotions que les livres arborent, visages tourmentés de l’Humanité.
A chaque lecture de ton récit je m’essoufflais un peu plus.
Au début je n’ai pas fait attention, lisant ton livre comme une obligation. Tu m’as poussé à réfléchir, à me remettre en question telle une voix sournoise murmurant à mon oreille. A cause de toi désormais je doute de chacun de mes actes, les juge. A cause de toi j’ai peur des motivations qui me poussent à agir, de ces émotions que je ne contrôle pas. A cause de ton livre que l’on a mis entre mes mains je ne suis plus si pure. Cela ne se lit pas sur mon visage, ni ne se distingue dans mes choix. Toutefois je ressens comme un changement que je devrais taire, dont je ne peux parler qu’à toi.
Malheureux ! Grâce à toi je suis moins ignorante.
Je me souviens de ce roman qu’Henry avait offert à Dorian, les effets imprévus, l’obsession naissante, la dépendance…
Un esprit libre ne devrait jamais croire tout ce qui est dit dans un livre ou s’y accrocher. Si ce sont les romans ou la vie qui est réelle, je l’ignore mais dans tous les cas cela revient soit à bomber le torse devant le fusil de la réalité soit à se réfugier dans un rêve éternel.
C’est dangereux de lire. Ce n’est pas simplement faire face à un objet matériel mais c’est confronter son âme à celle d’un autre. Aujourd’hui j’ai perdu le combat.
Petit à petit le Soleil est descendu à l’horizon, je n’y ai pas pris garde. J’allume ma lampe de bureau pour mieux me relire. Pourquoi t’ai-je tutoyé si instinctivement ? Ce n’est pas la première fois que je songe à écrire à un auteur dont le livre m’a marqué, portée par l’espoir qu’il me prodiguera conseils et recommandations. Mais les désirs ne sont que des réalités avortées. Jamais je n’ai osé. Toutefois aujourd’hui pour te parler je n’ai pas besoin d’y mettre les formes. Il ne faudrait pas croire que ce geste naît d’un sentiment de supériorité ou de mépris, au contraire ! On écrit qu’à ceux que l’on respecte et que l’on aime.
Quelles que soit les prouesses scientifiques que l’Homme aient accompli, aussi puissantes les machines qu’il construit, aussi vaste son champs d’action et d’influence il reste toujours l’Inaccessible et les rêves. Alors s’il suffit d’appeler un être par son prénom pour se rapprocher imperceptiblement de l’insaisissable, accorde le moi…Oscar.
Je ne te le cacherais pas, ce n’est pas toujours avec la plus grande attention que j’ai lu ton livre. J’ai sauté des paragraphes quelques fois, courant au travers de tes lignes, j’ai brandi ton âme dans un bus, au milieu d’une gare, aux inter-cours…
Cependant ce n’est pas tout ce que tu dois savoir. Ce matin, tandis que Dorian au bord de la mort échappait de justesse aux griffes de James Vane, qu’il se servait de sa beauté comme d’une arme ; j’ai eu mal au cœur. Il battait un peu trop vite, un peu trop fort, ma respiration était saccadée comme si c’était moi même que l’on avait plaqué au sol et dans ma tête résonnait ces deux mots : «Prince Charmant». L’étau se resserrait.
J’aurai voulu sauver Dorian, lui pardonner ses erreurs et le voir recommencer une nouvelle vie tel, un bref instant il l’avait escompté.
Tu ne m’y as pas autorisé.
Sans comprendre pourquoi je me suis retrouvée derrière Dorian à l’observer, seul face à son tableau dans le grenier.
Tu m’as paralysé.
J’ai assisté à son crime, l’ultime. Pourtant même après tu ne m’as pas relâché.
C’est étrange d’écrire une lettre. C’est comme parler à un être au travers d’un mur. On ne voit pas sa réaction. Cependant chaque mot que l’on écrit est destiné à cette personne. On parle et nul ne peut nous arrêter. Ce soir tu me hantes.
Si tu voyais notre monde désormais ! Ton livre en est tout le portrait. Aujourd’hui les Hommes sont tout d’abord jugés en fonction de leur apparence, le charme et la grâce placés sur un piédestal. Aujourd’hui les différences sont pointées du doigt. Aujourd’hui il suffit d’avoir de l’argent pour tout obtenir : amis, confort, drogues, pouvoir… Aujourd’hui le regard de chacun est le miroir de notre âme. Aujourd’hui on se défigure pour être un peu plus beau, on paie pour masquer le tableau !
Oscar dis-moi que tout cela n’est pas vrai ! Que l’on n’agit pas toujours par simple intérêt, qu’une amitié sincère peut exister, que du brulant désir on peut se protéger, que l’apparence n’est pas un critère de succès et que défiguré la vie peut continuer. Dis-moi que l’amour ne s’arrête pas à la beauté ! Laisse-moi juste rêver qu’il subsiste encore en ce monde un peu de pureté. C’est un souhait qu’il t’appartient cette nuit d’exhausser.
J’ai rendu ton livre. J’ai reposé ton âme. Si un jour je ne l’avais pas emprunté cela aurait été pareil pour toi. Ton fragment de peinture n’aurait pas bougé, fidèle.
Je ne faisais que passer, colombe au milieu des nuages lorsque l’orage de ta passion m’a surpris et que je me suis échouée sur la grève, petite lettre trempée d’encre bleue.
Toutefois j’ai l’impression que je me suis immiscée dans ta vie. Personne ne le sait mais j’ai corné tes pages, témoignage anonyme de mon admiration.
A chaque phrase dont je souhaitais garder le souvenir je repliais un angle de la feuille avant de la noter. Bien sur j’ai essayé ensuite d’effacer toute trace de mon passage mais à certains endroits ton livre porte comme des cicatrices.
A toi qui jamais ne répondras à ces mots,
Ce soir je viens de comprendre. L’écriture est bien plus qu’une recherche de la beauté de la forme, de l’expression. Écrire c’est dessiner une âme, son âme.
Ce soir je me suis rêvée écrivain, j’ai pris une plume comme si mon opinion avait de l’importance, comme si j’avais vraiment quelque chose à dire.
Ce soir, Oscar, je me suis découverte peintre.
Merci,
Julie
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