L’ange et la princesse (2/4)
Salut,
Voici la deuxième partie de mon conte. J’espère qu’elle vous plaira (et que vous vous êtes languis de connaître la suite !)
Mon prof de philo disait que pour un commentaire de texte il faut toujours écrire en ayant en tête ce qui précède mais aussi ce qui suit. Je crois que ce conseil est aussi à appliquer dans la littérature. Les références à ce qui précède sont des clins d’œil au lecteur, un moyen de raccrocher à un monde tandis que les références à ce qui suit ne sont que suspens.
Bye et bonne lecture.
L’ange et la princesse (1/4)
L’ange et la princesse (3/4)
L’ange et la princesse (4/4)
____________________________
L’ange et la princesse (2/4)
Quand la porte grinça je sursautai. On s’habitue vite au silence. J’avais suivi l’ange dans le dédale des rues. Nous avions tourné, bifurqué, dévié presque à chaque croisement.
«Où sommes-nous ?» avais-je demandé, perdu.
Il n’avait pas répondu. Son doigt s’était porté à ses lèvres, frontière infranchissable. Le panneau de bois avait pivoté. Tandis que je pénétrais à l’intérieur, guidé par l’ange, mes yeux habitués à la clarté de la Lune tentaient de s’accoutumer à l’obscurité.
Petit à petit, tel un tableau qui se dessine sous notre regard, je pris conscience de ce qui m’entourait. C’était comme devenir peintre.
La pièce semblait vaste et vide, sur les murs se dressaient jusqu’au plafond d’immenses étagères également vides. En réalité tout était vide et même les pièces adjacentes étaient exemptes de tout mobilier.
Soudain dans un recoin, à travers l’arcade d’une porte, je discernai une forme étrange et géométrique. Vision fragmentaire. L’ange avait condamné l’accès. Je voulus protester mais aucun son ne sortit, les lèvres cousues par la surprise. Je fis un pas en avant. Tout à coup je me figeai. Un soleil brillait entre les mains de l’ange. Une chandelle rayonnait dans les mains de l’enfant. J’étais au paradis.
Ceux qui ne croient pas au paradis c’est simplement qu’ils ne l’ont jamais vu. Il n’y a pas de blancs nuages ou des grilles d’or là-haut. Il ne se situe même pas au dessus de nos têtes. J’ignorais que le paradis logeait dans ma ville et qu’on le dissimulait dans une ruine à l’abandon. Les étagères n’étaient pas vides. La pièce était pleine, remplie de l’invisible. Alignées sur des planches de bois se tenaient en équilibre des centaines de mondes, des centaines de bulles de savon et au cœur de cet espace flottait une multitude d’univers. C’était comme être en apesanteur. Rien ne me faisait peur. L’atmosphère n’était pas oppressante mais à la fois intime et infinie, apaisante. Toutes les portes étaient closes. Il n’y avait que l’ange portant le Soleil à bout de bras, ces sphères aux reflets changeant et moi. Cette nuit là mon ange s’éleva au rang de Dieu.
Sur le parquet l’enfant avait déposé le Soleil puis il s’était assis à sa droite. Son invitation muette m’avait suffi pour que j’aille m’accroupir de l’autre côté.
Pendant longtemps nul n’osa entamer la conversation comme si un simple souffle eut pu faire éclater les mondes et provoquer une tempête. A cet instant je crois que je ne ressentais qu’une vaste paix intérieure. Tout se déplaçait au ralenti, nulle précipitation, juste mon cœur subissant d’étranges trépidations, palpitant au rythme de notre univers. Je n’ai pas honte de le dire : à ce moment j’avais la sensation que le monde m’appartenait et que j’en étais le maître incontesté. Probablement que la folie était en train de me gagner mais même cela je l’ignorais. En fait je n’avais d’emprise sur rien, ni sur mes actions ni sur mes émotions. J’étais amoureux d’une princesse qui ne daignait m’adresser un regard et dont j’ignorais le nom, je m’attachais à un ange et sa boite de chaussures mais surtout j’étais incapable de contenir ma curiosité, je parlais à cœur ouvert.
«Si tu es un ange, aide-moi.»
Regard étonné. Sourire innocent.
«C’est quoi un ange ? »
Aujourd’hui encore il attend sa réponse.
On a tous dans nos vies quelqu’un dont le sourire fait s’envoler nos cœurs. On a tous dans nos vies quelqu’un qui nous a un jour aidé et nous a sorti de l’ombre. On a tous dans nos vies quelqu’un qui nous aime, parfois on ne le sait pas, parfois cela ne se dit pas.
Ces personnes sont des anges, inconnus, ignorés, mais de ceux qui ne laissent pas indifférents, qui gravent en nous de profondes cicatrices.
Tu es un ange, il est un ange, elle un ange.
Mais ne dîtes rien…c’est un secret. On nous prendrait pour des fous.
De nouveau le silence était retombé mais cette fois-ci il était pesant, oppressant, écrasant tandis que s’éveillait en moi une étrange révélation : les anges parlent.
Alors, obnubilé par la caresse de sa voix je posais une nouvelle question : «Qui es-tu ?»
Une minute. Deux minutes. Dix minutes. Découragement. Déception. Abandon. Je me levai et fis demi-tour vers la porte. «Au revoir». Et alors que je m’apprêtais à franchir le seuil un murmure s’éleva, cri dans le silence : «Je suis le chevalier de la vérité».
Brusquement je m’arrêtai. Cette porte, ce morceau de bois à la teinte rougeâtre ; je les reconnaissais.
Mon cœur s’était accéléré. Je me sentais piégé.
«Mais…qu’as-tu fait ? Où sommes-nous ?»
Cet univers que je venais de rencontrer, ce paradis, rejoignait soudain la réalité ? J’avais l’impression d’avoir été trahi.
Je sortis en courant et regardai vivement autour de moi. C’était notre rue, celle de notre rencontre. La princesse était là, immobile, elle me fixait.
«Ce n’est pas normal. Ce n’est pas rationnel…» Je tournais sur moi même de plus en plus vite.
«Je ne peux pas avoir couru après toi et me retrouver ici ! » Soudain j’avais peur, une peur incontrôlable. Je voulus retourner dans la fabrique de jouet où j’avais quitté l’enfant mais la porte s’était refermée.
«Ouvre-moi ! » Je frappai le bois.
«Tu n’as pas le droit de me laisser seul !»
Je glissai au sol. «Je suis fou, complètement fou». Quelques larmes au coin de mes yeux.
«Je ne lui veux pas de mal moi à ta princesse petit chevalier…laisse moi juste l’aimer.»
Généralement il me suffisait de regarder son sourire tendre et sensuel pour qu’elle efface tous mes tourments. Pourtant cette nuit rien n’y fit. Elle avait beau m’offrir son regard le plus lumineux je me sentais seul. Mon ange était parti, le paradis avec lui.
J’étais probablement le seul à le connaître, à partager ce secret et pour cette unique raison je pensais qu’il m’appartenait, que j’avais un ange, mon ange.
Pourtant rien ne me donnait le droit de m’approprier un chérubin, rien à part ce désir étrange de compter aux yeux de quelqu’un. Et il y avait cette princesse dont j’étais amoureux et je ne savais même pas pourquoi ; cette princesse qui assiégeait mon esprit jour et nuit et qui assaillait mon cœur de tant de questions naissant toutes de celle-ci : «Ai-je le droit de l’aimer ?»
En réalité ce n’était pas un corps que je convoitais mais une âme ; ce n’était pas une femme qui m’attirait mais la magie qui dort. J’aimais l’impossible d’un rêve, la fantaisie de l’éternel car ce n’était que dans l’irréel que mon avenir devenait réel.
Il est douloureux d’aimer plusieurs êtres à la fois car l’affection d’un seul ne nous suffit pas. C’est le sourire de tous que l’on veut posséder.
Mais nos pas nous ramènent toujours là où notre cœur le désire. Parfois il faut attendre des dizaines d’années, bien souvent ce n’est qu’inconsciemment que l’on y retourne. Toutefois en ce qui me concerne mon cœur ne patienta qu’une nuit, une nuit sans fin, seul dans ma chambre à rêver de la princesse, à songer à mon ange. Une nuit blanche.
Que faisaient-ils ? Avait-il bien récupérer le monde ? Ne se sentait-elle point seule ? Et s’imposant à toutes les autres cette unique question : Qu’est ce que cette forme dans l’autre pièce ?
Je ne retins ma curiosité qu’une nuit.
Le lendemain soir je me retrouvai devant l’automate. Il ne faisait pas encore sombre et je patientai. On pourrait attendre l’éternité un être que l’on aime. J’ignorais complètement ce que j’allais lui dire mais peu m’importait : je devais lui parler, j’avais trop de questions.
Il arriva comme d’habitude, ponctuel, précédé seulement par sa fugue. J’avais l’impression de le retrouver après des années de séparation. On ne survit pas longtemps sans son ange. Tout à coup, mu par une force inconnue, je m’agenouillai.
«Je suis à vos ordres, chevalier de la vérité.» Debout il était à peine plus grand que moi.
C’est petit un ange. C’est fragile.
posted in Contes | 2 Comments